L'Ordre des Lys et du Serpent
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Général Patafouin
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Acte II - Chapitre 2 - La chaleur du foyer Empty Acte II - Chapitre 2 - La chaleur du foyer

Mer 14 Sep - 15:49
Père,


J’ai la joie de vous annoncer que je serai de passage en notre foyer familial, ce Fridas pour une durée de deux jours. J’arriverai en fin de matinée par portail, ne vous préoccupez donc pas d’envoyer une calèche pour me quérir. 
J’attends avec impatience de vous revoir, Mère et vous-même, et souhaite que ma visite survient à un moment opportun.


Avec mes pensées les plus cordiales,


Votre fils,


Aesril




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Un éclat de soleil portant l’or de cette matinée d’automne vint se refléter dans le marbre poli dont était fait le dallage de l’esplanade des portails. L’endroit avait été choisi spécialement pour faciliter la conception de passages magiques. En plein air, exposé aux constellation, un grand cadran indiquait les heures et les lieux où la téléportation était facilitée. Le vent marin battait ces lieux exposés, rafraîchissant l’air et soulevant les capes. Caelnia sourit tendrement en voyant une mèche de cheveux s’échapper de la coiffure si bien ajustée du mage qui marchait vers elle et lorsqu’il arriva à sa hauteur, vêtu d’une longue cape bleu sombre aux ourlets finement brodés d’or, recouvrant un élégant pourpoint brun passé par-dessus une chemise ivoire immaculée, elle ne put s’empêcher de sourire un peu plus, ajustant la mèche sauvage, comme un symbole de la personnalité fondamentalement indomptable de son compagnon qui excellait pourtant à faire croire qu'il faisait partie du moule qu'on avait créé pour lui.


— Ainsi, c’est à cela que ressemble le fils d’un grand officier de la Poursuite Divine ! Quel honneur, Monsieur ! minauda-t-elle en exécutant une rapide révérence.


Aesril pinça les lèvres sombrement.


— S’il te plaît, ne te moque pas…


— Ah, mais je ne me moque pas, je te trouve absolument charmant ainsi, quelle allure, tu as !


Elle attrapa sa main gantée et lui fit lever le bras pour exécuter un tour complet sur elle-même, à la manière d’une danseuse, avant de retourner se lover brièvement contre le torse du mage dans un rire ingénu.


— Me ferez-vous danser, bel aristocrate ?


— Tu sais bien que mon père tient beaucoup à ce que je sois vêtu en conséquence pour rentrer chez moi. Il faut que je “représente dignement la famille”, expliqua-t-il en citant les paroles de son aïeul.


Il se rendit soudain compte qu’il avait laissé son sérieux reprendre le dessus, occultant la légèreté et la fraîche joie de vivre de Caelnia, comme si la perspective de retrouver l’austérité de son père l’avait déjà fait changer d’état d’esprit. Il déposa un baiser sur les cheveux de la jeune femme, la serrant un peu plus contre lui.


— En revanche, je te ferais danser quand tu veux. Je ne prétends pas être un excellent danseur, mais s’il y a bien une personne pour qui j’accepterais, ce serait toi.


— Tu es adorable quand tu parles ainsi, Milelen Vir ! Te sens-tu prêt à partir ? Tu n’es pas trop nerveux ?
Aesril l’observa un court instant, avant de détourner son regard vers l’horizon.


— Non… Ça va. Je te le jure !, insista-t-il en voyant l’air incrédule de Caelnia.


— Tu verrais ta tête, toi non plus, tu n’y croirais pas ! Tu as l’air plus tendu que la corde d’un arc.


— C’est vrai, je le suis peut-être un peu… admit-il en resserrant les gants qu’il portait. Je n’ai pas reçu de réponse de mon père. J’espère que je serai bien reçu…


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— Tu rentres chez toi, tout de même, et cela fait des mois que tu n’y es pas revenu : je suis sûre qu’ils seront ravis de te revoir !


— Oui… lâcha finalement Aesril. Je m’inquiète sans doute pour rien.


— Comme souvent ! Toujours à imaginer le pire…


— Ça s’appelle anticiper, corrigea-t-il d’un air entendu.


— Je te sens plus songeur que d’habitude depuis que l’on a parlé de ce petit voyage. Est-ce que tu es sûr que tout va bien ?


— Oui… Tu me connais : toujours à me faire du soucis. Je pense beaucoup à mon père, voilà tout. Et à toi.


— À moi ? Pourquoi cela ? s’étonna la jeune femme en écarquillant les yeux.


— Je ne sais pas… Seulement une intuition. Tu me promets de faire attention à toi, ces prochains jours ?


Elle plongea ses yeux dans les siens, prenant sa main et lui offrit son sourire le plus convaincant.


— Je te le promets. Mais tout se passera bien, tu verras. Tu n’as aucune raison de t’en faire. D’ailleurs, j’ai un petit cadeau pour toi.


Il fronça les sourcils, surpris. 


— Un cadeau ? Pour quelle occasion ?


— A-t-on besoin d’une occasion pour s’offrir des choses ?


Elle sortit de l’intérieur de sa sacoche de cuir une petite pochette de tissu qu’elle commença à déplier soigneusement. 


— Bon… je te préviens, l’enchantement n’est pas à la hauteur des tiens en termes de précision et d’élégance, mais ça remplit tout à fait sa fonction !


Elle tira de la pochette un bracelet fin fait d’une lanière de cuir entourant une petite gemme ambrée qu’elle présenta à Aesril au creux de sa paume.


— C’est un bracelet… spécial, fit-elle d’un air mystérieux. Lorsque le porteur touche la pierre, il envoie une légère vibration à sa jumelle - que je porte - pour signaler que l’on va bien. Et en plus, la vibration va stimuler un nerf qui te procurera un sentiment de détente presque immédiat !


— S’il te plaît, ne cesse jamais de caresser cette pierre dans ce cas ! répondit Aesril en partant d’un rire éclatant.


Elle lui offrit une tape affectueuse sur le bras, riant de bon cœur avec lui.


— Ce que tu peux être bête ! Tends-moi ton poignet, que je te l’attache, au lieu de dire des idioties !
Il obtempéra, s’efforçant de tempérer son rire, tendant docilement son poignet droit à la jeune femme qui noua le bracelet, fermement.


— Plus sérieusement… C’est une excellente idée, avoua-t-il. J’aime beaucoup ton cadeau.


— Voilà ! Ainsi, aucune chance que tu puisses le retirer. Tu es à moi ! Tu pourras dire cela aux femmes que ton père te présentera.


— Je n’ai pas besoin d’un bracelet pour cela, tu sais…


— Je m’étonne toujours de voir que sous cette façade impassible se cache un grand romantique d’un pragmatisme sans pareil ! pouffa-t-elle.


Elle se mordit la lèvre, baissant les yeux au sol, le regard soudain plus mélancolique.


— Je ne pensais pas que ce serait si difficile de te laisser, même pour quelques jours. J’ai l’impression que nous allons pourtant devoir y aller… 


— Oui… souffla Aesril, soucieux. Au revoir, belle Caelnia.


— Au revoir, tendre Aesril… ajouta-t-elle, sans bouger.


Il déposa ses lèvres contre les siennes en un baiser intense, avant de se retourner presque aussitôt et d’exécuter les gestes d’un portail. Il craignait qu’en s’éternisant, cela ne rende les choses plus difficiles encore, alors, il disparut dans un portail aux volutes dorées.






Il arriva devant la grande porte d’entrée de sa demeure familiale, un nœud lui comprimant la gorge. Il avait ouvert son portail ici, car il savait que père avait en horreur les arrivées magiques impromptues au beau milieu du hall. Il ferma les yeux un instant, respirant profondément.


— Tout va bien se passer, Aesril. Tu es chez toi.




Il entra. Le vestibule, dépourvu de fenêtres, était illuminé de quantité de bougies et de grands bouquets de fleurs fraîches répandaient leur parfum odorant et délicat rappelant les lys, la rose et la groseille. Il s’avança à pas feutrés dans le grand hall où les tapis écarlates, émeraudes et ocres avaient été fraîchement nettoyés, où chaque meuble de bois brillait de propreté et sentait bon la cire d’abeille et où le vent faisait flotter délicatement les voilages des fenêtres entrouvertes. Aesril se surprit à prendre plaisir à retrouver cet endroit familier, laissant ses doigts glisser pensivement contre la rambarde des escaliers en colimaçon quand une voix familière résonna dans son dos.


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— Aesril ! Par les dieux, c’est bien vrai, tu es vraiment là !


— Mère… souffla-t-il avant de se retourner pour découvrir le visage de Loralia, rayonnant de bonheur.
Elle avait revêtu une de ses toilettes favorites et revenait vraisemblablement du jardin, les bras chargés d'un panier de noisettes. Elle s'approcha de son fils à pas vifs et l'enlaça chaleureusement, rapidement freinée par le panier.


— Oh quelle sotte ! s’excusa-t-elle, confuse.


— Ne vous en faites pas, je vous débarrasse, répondit aussitôt son fils en prenant délicatement le panier de ses mains pour l’étreindre à son tour d’un bras. Sa mère déposa ses lèvres sur sa joue et la chaleur de ce contact lui réchauffa le cœur et chassa ses craintes un moment.


— Quand ton père m’a dit que tu venais, j’osais à peine y croire et j’étais si impatiente ce matin, j’étais incapable de tenir en place. J’ai demandé à Ewilën de faire nettoyer toute la maison pour ton arrivée et je suis allée m’occuper l’esprit dans le jardin.


— La maison est magnifique, Mère. Et vous aussi. Ainsi, mon arrivée n’est pas malvenue ?


— Pourquoi as-tu de telles pensées, mon enfant ? Bien sûr que non ! Nous sommes ravis de t’avoir ici, même si c’est pour un court instant. Pourquoi faut-il que tu ne restes que si peu de temps, d’ailleurs ?


— Les Sapiarques ne nous laissent pas nous absenter bien longtemps tant que nous ne sommes pas officiellement l’un des leurs, malheureusement. Et Maître Cinnarion a bien trop besoin de moi.


— Est-ce qu'ils te traitent bien ? Ils ne te font pas trop travailler ? Tu es très évasif dans tes lettres.


— Le travail est intense, mais ce que je fais me passionne. J'ai tellement hâte de vous parler des projets sur lesquels je travaille ces derniers temps ! Enfin, ceux que je fais sur mon temps libre, bien-sûr.


— Moi aussi, il me tarde que tu m'en dises plus, admit-elle en déposant une caresse sur sa joue. Mais il semble que tu aies bien mérité un peu de repos.


— Oui… Je n'étais pas tout à fait certain des bienfaits de revenir ici, mais maintenant que je suis là, je dois admettre que cela me fait du bien.


Loralia croisa les bras sur son torse avec contrariété. Aesril n’avait jamais remarqué qu’il tenait cela de sa mère jusqu’à lors.


— Qu’est-ce que c’est que ces histoires, Aesril ? Tu n’avais pas envie de me revoir ?


— Bien sûr que si, Mère, quelle idée ! Simplement… Je me plais au Collège, voilà tout.


— Dans ce cas, cela me fait plaisir ! s’épanouit Loralia. Il n’y a rien qui puisse me rendre plus heureuse que de savoir que tu as enfin trouvé ta voie.


Aesril détourna le regard pour ne pas afficher la mélancolie d’avoir dû dissimuler la vérité à sa mère, une fois de plus. Il ne voulait pas qu’elle se fasse du soucis pour lui et il savait que, si elle connaissait la vérité, l’entière vérité, si elle savait qu’il avait obtenu sa place en cédant aux avances sexuelles de la Haute Sapiarque, elle n’aurait jamais toléré cela. Elle aurait tout fait pour protéger son fils et mettre fin aux agissements de Larnatillë. Et Père aurait fini par s’en mêler lui aussi. Il l’entendait déjà lui dire que s’il avait choisi la voie qu’il avait tracée pour lui, rien de tout cela ne serait arrivé. Que tout le tort qu’on lui avait causé, il l’avait mérité. Et cela, Aesril ne pouvait l’entendre. Il savait de surcroît que si Larnatillë devait tomber par sa faute, elle l’entraînerait certainement avec elle dans sa chute. Il n’y avait donc pas d’autre solution que de mentir à sa propre mère, à la seule personne à qui il s’était toujours confié. La sensation lui était affreusement désagréable. Il avait le sentiment qu’un gouffre qu’il avait placé lui-même les séparait, lui et sa mère, inconsciente des angoisses qui agitaient son esprit.


— Père est-il ici ? interrogea Aesril pour chasser ses pensées.


— Ton père est parti à l’Office de la Poursuite Divine très tôt ce matin, il est très demandé ces derniers temps. Il reviendra pour le dîner.


Il sembla qu’un poids quitta la cage thoracique du jeune mage. Il esquissa un sourire qu’il s’efforçait de dissimuler.


— Cela signifie que…


— Que nous allons pouvoir passer la journée ensemble, oui ! chuchota sa mère en tentant de masquer sa propre joie, par pure bienséance.


Ils profitèrent donc de ce moment de liberté complète pour rattraper le temps perdu, se promenant au bord de la mer et arpentant la vaste demeure, passant d’une activité à l’autre, Aesril contant les derniers mois passés à l’académie, ses projets les plus enthousiasmants et les tâches plus ennuyeuses, sa mère riant des Sapiarques caractériels qu’il lui décrivait avec force détails, imitant leur façon de parler méprisante, et sa mère lui partagea les dernières nouvelles d’Étincelance, les dernières peintures qu’elle avait réalisées, les livres qui l’avaient émue et les dernières enquêtes couronnées de succès de son père. Ils décidèrent de terminer cette journée en aidant la cuisinière à préparer le repas du soir avec les noisettes récoltées plus tôt et les cuisines devinrent rapidement le lieu de rassemblement de toute la maisonnée, les domestiques massés autour d’Aesril et de Loralia, pour écouter les incroyables anecdotes sur la magie que rapportait le jeune arcaniste.


— Oh, voulez-vous voir quelque chose de formidable ? demanda Aesril, qui, une fois la gêne disparue d’être le centre de l’attention, s’enthousiasmait de voir d’autres personnes partager sa passion et les étoiles briller d’admiration et de fierté dans les yeux de sa mère.


— Oh oui, Monsieur, montrez-nous un autre tour ! fit une jeune domestique en tapant dans ses mains d’impatience.


Il parcourut la pièce du regard à la recherche d’un objet avant de s’arrêter, d’effectuer un geste discret de la main et de s’adresser à la cuisinière : 


— C’est une belle libellule que vous avez là dans vos cheveux, Ceylin.


— Comment, mais de quoi parlez-vous ? s’inquiéta la femme en passant une main sur son chignon tandis que les autres dames se massaient autour de la domestique sans rien remarquer.


— Mais il n’y a rien, Monsieur ! se désola l’une d’elle.


— Vraiment ? Tirez donc sur le ruban bleu que vous portez.


La domestique obtempéra et tira doucement sur le ruban de satin qui se détacha et se mit à flotter dans l’air pour laisser apparaître des ailes translucides et un corps bleu nacré, voletant autour d’elle avant de se poser au creux de sa main. Toutes poussèrent des exclamations de surprise tandis que certaines applaudirent.


— Monsieur, c’est magnifique !


— C’est un enchantement très simple, votre ruban reprendra sa forme originale dès que vous le voudrez, vous n’aurez qu’à passer votre main au-dessus, comme ceci, expliqua-t-il en exécutant le geste, le ruban retombant délicatement entre les mains de la cuisinière.


— Et dès que vous en aurez envie, vous pourrez réactiver l’enchantement. Ce peut être un bijou tout à fait original. Et unique de surcroît. Allez-y, essayez.


Elle s’exécuta et le ruban reprit sa forme de libellule, sous les yeux émerveillés des autres femmes. Loralia caressa doucement l’avant-bras de son fils, plongeant un regard admiratif dans les siens.


— C’est de la belle magie, mon fils, tu t’es grandement amélioré.


— Mais qu’est-ce que c’est que ce rassemblement ? s’insurgea Ewilën, la gouvernante, en entrant dans la pièce. Je vous cherche tous partout ! Monsieur le Commandant est revenu et…


— Tout va bien Ewilën, nous leur avons donné l’autorisation de faire une pause, assura Loralia calmement.


— Pardonnez-moi, Madame… et Monsieur ! Bon retour chez vous, par ailleurs ! Je ne vous avais pas remarqué.


— Je vous remercie Ewilën, c’est plaisant de vous revoir, assura Aesril dans un sourire accueillant.


— Plaisir partagé Monsieur. Quoi qu’il en soit, Monsieur est revenu et j’aurais besoin que la table soit dressée. Le dîner est-il prêt Ceylin ?


— Bien sûr, Madame, tout est prêt, frémit Ceylin en se redressant prestement.


Loralia se releva à son tour, prenant son fils par le bras.


— Ne vous en faites pas, nous vous laissons à votre travail, merci mesdames, c’était fort divertissant.


— Revenez nous montrer des enchantements bientôt, Monsieur ! minauda l’une des domestiques avant que la gouvernante ne lui adresse une petite tape à l’arrière de la tête.


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Aesril et sa mère vinrent retrouver Menduil dans le hall d’entrée, affairé à confier ses affaires à un domestique. Après de brèves salutations, ils décidèrent de passer directement à table. Échanger des banalités, là ne résidait point le plaisir du commandant. Aesril sentit le nœud resserrer à nouveau autour de son œsophage. C’était tout juste si son père lui avait adressé la parole. Il l’avait regardé un bref instant et s’était dirigé vers la grande salle à manger, sans prendre la peine de s’enquérir de son état. Malgré tout, Aesril se rassura autant qu’il le pouvait : Peut-être devait-il faire un effort de son côté pour qu’ainsi, son père fasse un pas vers lui à son tour ? Loralia lui adressa un regard encourageant et ils prirent place à table, attendant que le dîner leur fût servi. Aesril apprécia au moins le silence qui planait au-dessus de la table pour pouvoir pleinement profiter du velouté de noisettes. Ce fut sa mère qui brisa subitement le mutisme ambiant.


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— Comment se déroule cette affaire, Menduil ?


— De fichus fanatiques qui incitent le peuple à rejoindre leurs rangs en leur promettant monts et merveilles. Ils prétendent soulever l’ordre des choses et dénoncent les soi-disant affres de notre société. Ils ne seront bientôt plus un problème. J’ai peine à croire que l’on m’ait fait venir pour une affaire si badine.


— Ils avaient sûrement besoin d’une main ferme pour les rassurer, Av Meyem*.


— Possible. Je ne comprends décemment pas comment quiconque peut accorder un tant soit peu de crédit à ces gens, quoi qu’il en soit. Notre royaume fonctionne ainsi depuis des millénaires et c’est ce qui fait sa grandeur. Ceux qui le critiquent devraient être tout bonnement exilés.


En entendant à nouveau ce discours, Aesril, le nez dans son assiette, haussa les sourcils avec mépris, sans dire un mot. Il avait mille arguments à rétorquer à son père, surtout depuis que le Collège lui avait fourni tant de renseignements sur l’Histoire de son pays, capables de contrecarrer ses propos qu’il jugeait aberrants. Mais il préféra garder le silence. C’était la seule réponse valable, quoi qu’il en soit. Sa mère parut cerner sa crispation, car elle détourna la conversation.


— C’est une joie de dîner à nouveau tous les trois dans cette pièce ! Aesril m’a raconté quantité d’histoires fascinantes sur le Collège et il nous a montré des enchantements absolument fabuleux, je n’ai jamais rien vu de tel !


Menduil posa enfin son regard sur son fils et Aesril, surprit, crut y lire une pointe d’intérêt.


— Vraiment ? Sur quoi travailles-tu en ce moment ?


Abasourdi, le jeune mage n’en revenait pas que son père lui pose une telle question. Désarçonné, il tenta de reprendre ses moyens autant que possible.


— Je cherche comment enchanter des gemmes pour ouvrir des portails en dehors de Nirn et comment leur faire absorber une grande quantité de magie stellaire. Cinnarion… Maître Cinnarion, corrigea-t-il. … Me fait analyser les propriétés de toutes les pierres pouvant exister en ce monde, je crois, pouffa-t-il doucement. Cela m’aide beaucoup dans mes recherches. J’aide aussi les Sapiarques à observer les mouvements stellaires et les éventuelles anomalies magiques, nous en avons remarqué quelques-unes ces derniers temps.


— Beaucoup de charabia magique pour dire que tu es un assistant.


— Il faut bien commencer quelque part, Menduil… intervint doucement Loralia.


— Toutefois, je crois comprendre que tu travailles déjà sur des recherches personnelles… poursuivit Menduil en faisant signe à sa femme de ne pas intervenir d’un geste de la main.


— Oui, d’ailleurs, à ce propos… 


Aesril reposa ses couverts pour prendre une gorgée de vin, soudain nerveux. Il voulait parler de Caelnia à ses parents. Il ne se voyait pas l’occulter, elle qui, par son esprit si fin, travaillait avec lui sur ce projet. Et il s’était bien trop abstenu d’en parler à sa mère durant la journée. Il mourrait d’impatience de lui parler de Caelnia, juste pour avoir une vérité réjouissante à lui partager. Il baissa les yeux sur son repas, timidement.


— J’ai rencontré une femme. Elle s’appelle Caelnia et elle est brillante. Nous travaillons ensemble sur ce projet. J’aimerais beaucoup vous la présenter.


Loralia fut la première à réagir, extatique.


— Une femme ? Aesril, mais c’est une merveilleuse nouvelle ! À quoi ressemble-t-elle ? Cela fait longtemps que vous vous connaissez ? Et quel âge a-t-elle ? Et que fait-elle là-bas ?


Aesril étouffa un rire en voyant l’intérêt prononcé de sa mère et ses nombreuses questions. Il chercha comment parler de Caelnia pour mieux retranscrire à sa mère ce que la jeune femme lui inspirait. Ce fut avec une pointe d’émotion qu’il se surprit à répondre


— Elle est belle comme une journée d’été. Ses cheveux sont aussi blonds que le miels et elle a de beaux yeux violets. Je la connais depuis quelques années déjà, nous sommes souvent envoyés dans les mêmes sessions de travail, vu qu’elle étudie les voyages stellaires. Mais cela fait quelques mois que… nous nous fréquentons vraiment. Il me semble qu’elle a quarante et un an, si je ne m’abuse. Et c’est un véritable rayon de soleil. Vous l’aimeriez beaucoup, j’en suis certain.


— C’est une certitude, oui !


— Ainsi donc, voilà donc ta véritable réponse, cingla la voix de Menduil, soudaine et glaciale.


Aesril tourna la tête vers lui, surpris.


— … Je vous demande pardon, Père ?


— Tes histoires de projets et de recherches n’étaient là que pour couvrir le fait que tu batifoles au lieu de travailler. 


— Père, bien sûr que non, je travaille, nous travaillons très dur, nous n’avons pas un moment pour nous. J’ai simplement eu la chance de faire la rencontre de cette femme et que nous partagions des intérêts communs.


— Travailler dur ? Sais-tu au moins ce que cela signifie ? Tes mains n’ont jamais tenu une arme, n’ont jamais touché le sang de tes ennemis ou celui de tes alliés. Vous vous gavez la tête de formules et appelez cela du travail. Et en plus de cela, tu en profites pour passer du bon temps avec des femmes, lâcha-t-il sèchement, tout en prenant une bouchée du plat qu’on venait de lui servir, sans même prendre la peine de lui adresser un regard.


Pourtant, comme Aesril aurait aimé qu’il la voie, la colère dans ses yeux, celle qui bouillonnait en lui et qu’il s’efforçait de contenir pour mieux répliquer. Car cette fois-ci, il savait qu’il n’était plus un enfant. Il savait qu’il était de taille à répondre à son père par des arguments suffisamment brillants pour être implacables. Il prit une profonde inspiration, ignorant les regards que sa mère lui lançait pour lui intimer de se tempérer. Celle-ci tenta de désamorcer la situation avant que son fils n’ouvre la bouche.


— Menduil, je vous en prie, vous y allez un peu fort avec Aesril, je suis sûre que si le métier qu’il pratique n’a rien de comparable au vôtre, il n’en a pas moins des aspects plus complexes.


— Cessez de toujours prendre sa défense, Loralia, lui intima son père.


— En effet, Père… Mes mains n’ont jamais touché le sang. Je n’ai jamais tué quiconque pour servir mon souverain et son royaume. Mais je travaille aux côtés de mages, d’érudits, de savants, de chercheurs infiniment plus intelligents, plus lettrés, plus cultivés et plus sages que vous ne le serez jamais, car il vous faudrait une seconde vie pour apprendre le savoir dont ils disposent. Ce sont ces mêmes personnes qui tracent les cartent dont vous vous servez chaque jour, qui conçoivent les formules qui vous protègent et les enchantements posés sur vos armes, qui soignent vos blessés et consignent ce que vous appelez des “victoires”, quand bien même, il ne s’agirait que d’ignobles boucheries, car il n’y a que les héros et les vainqueurs qui racontent l’Histoire. Je sers ces gens que vous méprisez, parce que vous craignez leur savoir, vous craignez de vous rendre compte que toutes les batailles ne sont pas gagnées par des soldats, mais aussi par leurs conseillers. Je ne tiendrai jamais d’épée dorée ou ne me battrait jamais sur le front, mais j’écrirai l’Histoire tout autant que vous, dans l’humilité de ma fonction. Et si, en plus de cela, j’ai la chance de pouvoir partager ce quotidien avec une femme qui partage mes passions et comprend mon point de vue, alors, je n’hésiterai pas un seul instant. Pas pour “batifoler”. Mais pour vous prouver qu’il existe des personnes de valeur qui me ressemblent. Et je n’ai pas l’intention d’épouser une femme brillante pour lui demander de se taire chaque fois qu’elle aura une idée ayant un tant soit peu de bon sens. Pour la laisser seule dans une maison pendant des mois comme vous le faites. Mais pour l’écouter et partager avec elle. Pour la respecter. Alors, en son nom, comme au mien, je vous demanderai de respecter le travail que nous faisons.


Il sembla alors que le temps se figea. Cette fois-ci, Aesril avait toute l’attention de son père qui, un regard impassible rivé sur lui, ne détachait plus ses yeux de son fils. Lui-même soutenait ce regard sans défaillir, la flamme de la confrontation dans le regard, mais aucune autre émotion ne venant animer son visage. Loralia s’était immobilisée, elle aussi, tout comme les domestiques présents dans la pièce et nul ne paraissait savoir quelle était la marche à suivre. Personne ne contredisait Menduil. Même Loralia finissait toujours par abandonner, impuissante. Personne à part Aesril. Mais jusqu’à présent, jamais il n’avait eu l’outrecuidance de le faire devant les domestiques. Son père le fixa encore un moment qui parut durer une éternité, avant de lâcher, seules ses lèvres brisant l’immobilité de sa posture.


— Vous pouvez disposer.


Les domestiques s’éclipsèrent aussitôt, presque dans un sursaut, comme s’ils avaient subitement repris vie, refermant les portes de la salle à manger derrière eux. Menduil continua de fixer son fils, amèrement.


— Tu oses me remettre en cause devant mon propre personnel ?


— Il n’y a que ceux qui savent ne pas être justes qui craignent d’être remis en question.


— Aesril, s’il te plaît… murmura sa mère en fermant les yeux, terrorisée.


— Tu viens ici, dans ma maison, après des mois d’absence, simplement pour parader auprès de ta mère et des domestiques et pour m’insulter ?


— C’est vous qui m’avez insulté, je vous le rappelle, répliqua Aesril, sur le même ton glacial. Aucun d’eux ne haussait la voix, mais la sècheresse de leurs échanges en aurait découragé plus d’un de poursuivre. Je reviens après des mois d’absence, comme vous dites, des mois où vous n’avez jamais pris la peine de m’écrire, je vous annonce de bonnes nouvelles et vous êtes incapable de vous réjouir pour moi. Quand allez-vous enfin reconnaître que vous avez un fils tout aussi capable que vous ne l’êtes ?


— Je te recommande de cesser sur le champ, Aesril, le menaça Menduil.


— Non, non, je n’ai pas terminé, poursuivit-il, plus emporté.  Que faut-il que je fasse, bon sang, pour enfin mériter votre respect et vos encouragements ?! Quels immenses prouesses dois-je accomplir ? Devenir Haut-Sapiarque ? Conseiller du Roi ? Tuer des centaines d’étrangers ? Dites-moi, car je suis perdu !


— Ce qu’il faut que tu fasses, tu aurais dû le faire des années plus tôt en suivant la voie qui avait été tracée pour toi. Désormais, tu dois faire face aux conséquences de tes actes.


— “Aux conséquences de mes”… Mais c’est incroyable, à vous entendre, il semblerait que l’on parle d’un criminel, de la plus odieuse des ordures foulant ce monde ! Je suis votre fils, je n’ai jamais fait le moindre mal à quiconque, j’ai toujours respecté toutes les fichues règles aussi absurdes soient elles ! Mère, je vous en prie, dites quelque chose !


— Aesril… se désola Loralia.


— Tu te déshonores et tu mets ta mère dans une position impossible, Aesril. J’espère que la femme que tu convoites a plus de jugeote que toi. Car je ne vois plus quoi faire de toi. Tu aurais certainement mieux fait de rester avec elle et ces gens que tu respectes tant. Tu y as certainement plus ta place.


— En effet. J’aurais certainement dû, lâcha Aesril, en se redressant vivement, les mots lui écorchant la gorge.
Il se dirigea vers la sortie, l’estomac noué par cette conversation. Dans son dos, il entendait déjà sa mère souffler à Menduil.


— S’il te plaît, dis-lui de revenir…


— Non. Qu’il fasse comme bon lui semble, cela vaut mieux.


Aesril remonta jusqu’à sa chambre, furieusement, ce geste lui remémorant de douloureux souvenirs. Non, rien n’avait changé. Rien ne changerait jamais. Père avait raison. Il n’avait pas sa place ici. Dire qu’il s’était senti si bien quelques heures plus tôt. Maintenant, il se demandait simplement ce qu’il faisait là. Il ne pouvait pas rester là. Si seulement, il existait un enchantement pour faire passer le temps plus vite et ainsi retrouver Caelnia et son aura lumineuse plus tôt. À sa pensée, il regarda le bracelet qu’il avait presque oublié et caressa doucement la pierre. Quelques secondes plus tard, sa gemme se mit à vibrer à son tour et il se sentit soudain plus apaisé. Comme si Caelnia était là, à ses côtés. Oui, peut-être son père avait-il raison, finalement. Peut-être sa place était-elle aux côtés de cette femme. Peut-être pouvait-il construire son propre havre de paix. Peut-être, à son contact, pourrait-il un jour oublier qu’il n’était pas le monstre que décrivait son père. Le doux frémissement de la pierre le plongea bientôt dans une profonde léthargie et toute tension disparaissant de son corps, il sombra bien vite dans un profond sommeil.


Acte II - Chapitre 2 - La chaleur du foyer C8b192de11ac98d3c926e6a03be2c085




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