L'Ordre des Lys et du Serpent
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Général Patafouin
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XXIII - Conséquences Empty XXIII - Conséquences

Ven 25 Aoû - 1:29
Sans même s'en rendre compte, les mâchoires du mage se crispèrent. Comme si cela avait la faculté d'arrêter le temps, il posa sa main sur le bras d'Aeva et questionna, vivement.


— Que se passe-t-il ? Que lui veulent-elles ?


La mère de Mélicendre pinça sa lèvre supérieure tique nerveux qui, avec les années l'avait affinée et montrait ses angoisses. Elle balaya le couple d'un rapide regard et posa sa main sur celle du mage. 


— Elle… Elle ne veut plus perdre de temps. Les clans doivent avancer et se reconstruire et… Ce qui concerne l'avenir des clans concerne aussi les naissances à venir. - Elle retira sa main et pris une courte respiration. - Il est temps de connaître l'avenir de notre propre clan… 


Il étouffa un rire cynique, rejetant son regard vers la tente de la mère des clans.


— Et bien sûr, elle veut s'assurer que je ne sois pas dans les parages pour remettre en question leur décision. Hors de question que je laisse Mélicendre seule.


Mélicendre hocha la tête en fixant sa mère du regard avant de se tourner vers Aesril.


— Non… Elle veut me parler, mais ce genre de cérémonie ne se fait pas dans le cadre privé… à moins qu'elle ait une autre idée en tête ?, demanda-t-elle en se plaçant face à Aeva.
— La cérémonie sera publique… C'est vrai, je ne sais pas pourquoi elle souhaite te parler seule à seule… Elle ne nous a rien dit de plus. Saphia semble… avoir ses idées en tête.
— Je n'aime pas cela, soupira-t-il. Mais si je me fie à ce que j'ai pu voir ici, moins j'interviendrai contre les traditions et mieux ça se déroulera. Je… – Il expira l'air par le nez. – Je vais faire preuve de patience. Je me rappellerai au souvenir de Saphia si cela devient nécessaire.


La divinatrice embrassa tendrement sa joue avant de se glisser au creux de sa nuque.


— Tout va bien se passer… et s'il y a le moindre problème, nous partons. 


Il glissa un regard en coin à Aeva. L’inquiétude sur le visage de la mère de Mélicendre était manifeste et il doutait que la perspective de voir sa fille s’en aller à nouveau la réjouissait. Depuis que Mélicendre avait manqué de frôler la mort d’être restée trop loin des clans et qu’il avait vu Aeva être privée de ses pouvoirs par une simple décision de la Mère des clans, il avait compris que les lois des divinatrices s’appliquaient différemment de celles auxquelles il avait été habitué et que les forces qui les régissaient dépassaient pour l’instant son entendement, un mystère qu’il comptait bien élucider. Pour le moment, il choisit de mettre de côté sa propre impulsion de faire les choses à sa manière et il reporta son regard vers Mélicendre.


— Bien sûr. Mais nous n’en sommes pas là, pour le moment. Tu devrais aller discuter avec elle pour savoir ce qu’elle te veut. Aucune décision ne se prendra contre notre gré, Leyend ni me. Il sera bien assez tôt de voir cela le moment venu. Je vais installer nos affaires.


Elle caressa sa joue du bout du pouce avant de déposer un baiser sur ses lèvres dans un léger sourire rassurant. 
— Bien, je te retrouve tout à l’heure mon beau mage… Et… D’ailleurs, Violette ne devrait pas tarder à se réveiller, si c'est le cas, explique-lui en douceur et, si jamais elle ne comprend pas, eh bien… Je… enfin nous aviserons à ce moment-là. 


Elle prit le bras d'Aeva qui offrit un signe de tête à Aesril et se dirigea vers Saphia qui se leva et entra dans sa tente. Le mage les regarda s’éloigner, demeurant là, les bras ballants, il pinça les lèvres en hochant lentement la tête.


— Bien, bien… Formidable. Lui expliquer en douceur. Laisser faire les choses. Oui… Rien de plus simple, marmonna-t-il pour lui-même. 


Il avait du mal à croire que ce moment de répit avec Mélicendre était déjà passé, alors qu’il sentait encore sa peau contre la sienne.


— Merde…, lâcha-t-il dans un soupir, alors qu’il dirigeait ses pas vers leur petit abri.


Il trouva la fillette assoupie sur leur couche, mais il sut aussitôt que Mélicendre avait vu juste : le rituel touchait à sa fin, Violette n’était plus inconsciente, simplement endormie. L’enfant avait replié ses jambes contre son ventre et caressait doucement le bout de son nez de son index, dans un geste de réconfort inconscient. Son souffle était doux et sifflait légèrement. Il se figea, les épaules tendues. Il avait soudain l’impression d’être un imposteur. Il n’était pas son père, n’avait aucun lien avec elle. Il avait seulement enlevé l’enfant d’un autre. Quelle attitude devait-il adopter ? Il réalisa qu’il n’avait même pas eu le loisir d’en discuter avec Mélicendre. Quelle posture devait-il prendre envers cette enfant, quel rôle devait-il endosser ? Serait-il un père pour elle ? Un mentor ? Un simple gardien, s’assurant qu’elle ait un foyer et une éducation ? Cette décision de l’emporter avec lui apparaissait de loin comme la plus irréfléchie et la moins logique qu’il ait prise de sa vie. Il se demandait encore pourquoi il avait fait cela. Avait-il vraiment cédé aux pleurs d’une enfant l’implorant de partir avec eux, lui qui avait été imploré tant de fois, à qui l’on avait supplié d’épargner la vie ou de faire preuve de clémence, lui qui était demeuré inflexible dès lors qu’il avait pris une décision ? Il se dit qu’il n’avait aucune idée de comment un parent devait se comporter. Cette petite était pourtant similaire à une orpheline. Par sa faute, ses parents avaient oublié son existence. Elle n’avait plus qu’eux, les clans, Mélicendre et lui. La sensation était vertigineuse. Et si elle le détestait d’avoir pris cette décision ? Et si sa demande n’avait été que le caprice irréfléchi d’une enfant de cinq ans ? Et s’il se trouvait incapable de lui offrir ce dont elle aurait besoin pour s’épanouir et grandir ? 
Il soupira profondément, baissant les paupières avec consternation.


— Ils avaient tous raison depuis le début. J’aime me compliquer l’existence. Feyr’n ni vond. 


La petite s’agita quelque peu, frissonnant légèrement et il se crispa soudain, effrayé à l’idée qu’elle se réveille, avant de se souvenir de la couverture enchantée dans son sac de voyage. Il se pencha avec précaution pour aller chercher le petit bout d’étoffe à peine plus grand qu’une phalange et tira sur le fil doré cousu entre les mailles, le tissu de feutre épais se déployant entre ses doigts en une large couverture épaisse qu’il déposa délicatement sur la fillette, satisfait d’avoir réussi à préserver son sommeil. Sa satisfaction s’avéra toutefois de courte durée, car tout juste eut-il expiré qu’une petite voix ensommeillée souffla :


— J’étais sûre que la magie existait. J’aimerais tellement que ce soit pas un rêve…


Aesril fronça les sourcils, la parole en suspens tandis qu’il cherchait ses mots.


— Ce n’est pas un rêve, Violette. La magie existe bien. Et tu es avec nous. 


La petite fille ouvrit les paupières un peu plus grand, se frottant les yeux, lui lançant un regard décontenancé qui bouleversa le mage.


XXIII - Conséquences D1a05910


— Qui… Qui êtes-vous ? Et où est-ce que je suis ? Où sont Papa et Maman et les autres ?
— Je… me nomme Aesril. Tu ne t’en souviens pas pour le moment, mais… Nous nous sommes déjà rencontrés. Je suis un mage. Un guérisseur et un enchanteur.
— Je suis malade ?, s’inquiéta la fillette.


Il sourit doucement.


— Non… Non, tu es en parfaite santé. Bien qu’un peu maigrichonne. Il faudra penser à bien t’alimenter, ces prochains jours.
— Oui, Maman me le dit tout le temps, mais elle dit que comme je suis la plus petite, je peux manger moins…, admit-elle en triturant ses doigts.
— Je m’assurerai que tu te nourrisses bien alors. C’est comme cela que l’on reste en bonne santé.
— Pourquoi Papa et Maman ne sont pas là ?, reprit-elle aussitôt.
— Ils… ils ignorent que tu es là, lâcha-t-il en se relevant pour aller chercher sa gourde d’eau et la tendre à la fillette. Bois. C’est important.
— Mais…
— Bois d’abord. Je répondrai à tes questions après. Je sais que tu en as de nombreuses.


Elle obtempéra docilement, buvant goulument sans le quitter du regard. Elle écarquilla des yeux ébahis.


— Mais… Vous êtes un… un…
— Un elfe, oui. Un vrai elfe. Un elfe qui fait de la magie. 
— C’est, c’est… incroyable ! D’où vous venez, Monsieur Asril ?
— Aesril. Tu peux me tutoyer. Je viens d’Étincelance, une ville sur l’archipel très lointain du Couchant, à bien des lieues d’ici. 


Il s’humecta les lèvres, cherchant comment répondre à ses précédentes interrogations.


— Tu… Tu veux bien que je te raconte une histoire ?
— J’adore les histoires !, s’enthousiasma-t-elle en se redressant et en s’emmitouflant dans la couverture.


Il pencha la tête pour s’asseoir à ses côtés, non sans une certaine fébrilité. Avec elle, il se sentait plus gauche que jamais tout en ayant cet étrange sentiment qu’il pouvait être entièrement lui-même.


— Je ne saurais dire si je suis doué pour les conter, mais il me plait d’écrire de la poésie, quand mon esprit me laisse un peu de répit…
— C’est quoi la poésie ?
— C’est un texte composé d’une jolie manière pour parler des choses que le cœur a du mal à exprimer, souvent en vers, comme une chanson. Comme un tableau fait de mots.
— Ça a l’air génial ! Tu vas me raconter une poésie ?
— … Non. Cette histoire… C’est l’histoire d’une petite fille qui habitait dans un petit village au pied d’une montagne. 
— Comme Nimbe-Rivière !
— Oui. Comme Nimbe-Rivière. Un jour, deux étrangères arrivèrent dans ce village, elles se nommaient Aeva et Nora. Nora se présenta aux villageois comme une guérisseuse. Rapidement, elle et la petite-fille devinrent amies et Nora apprenait volontiers tout ce qu’elle savait sur la magie à l’enfant. Ce que la petite fille ignorait… C’est que Nora était en vérité un homme et un elfe, déguisé sous les traits d’une femme pour que nul ne sache qui il était.
— C’est fou comme histoire !
— Oui. Laisse-moi finir, je te prie. Cet homme était loin de se douter qu’il allait s’attacher à cette petite fille que ses parents délaissaient. Seulement, quand vint le moment pour lui de partir, il avoua la vérité à la petite fille. Il lui expliqua qu’il devait rentrer chez lui avec la femme qu’il aimait parce que… Celui-ci allait fonder une famille. Mais la petite fille ne voulait pas qu’il s’en aille. Alors… Elle l’a supplié de partir avec eux. Et c’est ce qu’il a fait. Il s’est fait la promesse de… De veiller sur elle. De s’assurer qu’elle soit heureuse et en bonne santé. Comme si… Comme si c’était sa propre fille, conclut-il, estomaqué par ses propres propos.
— C’est tellement beau comme histoire ! Mais… Le Monsieur elfe, c’est toi, c’est ça ?
— Oui… Et la petite fille, c’est toi, Violette.
— J’aime bien cette histoire. Mais… Pourquoi tu me dis ça ? Où sont Papa et Maman ?
— C’est… la vérité Violette. Ce n’est pas une histoire. Tu as perdu la mémoire pour le moment parce que… C’était plus sûr. Mais ton père et ta mère…


Aesril posa sa paume contre sa bouche, incapable de savoir comment poursuivre et jusqu’à quel point la vérité était la bonne solution. Il avait de la détestation pour le mensonge.


— Ils ont oublié que tu étais leur fille, Violette.


La fillette se redressa brusquement, l’affolement dans le regard.


— Quoi ?! Mais pourquoi ? Et si c’est vrai, pourquoi je ne me souviens pas de toi ?
— Parce que… Je… Ma compagne, Mélicendre est une magicienne, elle aussi. Je lui ai demandé de t’effacer la mémoire pour… Pour te protéger. Mais… alors que tu me demandais de t’emmener, j’ai craint de regretter de te laisser là-bas.
— Mais… Ça veut dire que je ne les reverrai jamais ? Je ne reverrai jamais Nimbe-Rivière ?
— … Non, en effet. Mais de nombreuses possibilités s’offrent à toi, désormais et tu es infiniment plus en sécurité, ici, avec nous.


Violette fondit en larmes, ses yeux cherchant autour d’elle un visage familier.


— Je comprends rien du tout ! Je ne sais pas qui tu es ! Et j’ai peur !
— Violette, je t’en prie, calme-toi… J’ai fait cela pour ton bien…


Mais la petite était inconsolable, ses larmes coulaient sans discontinuer. Aesril voulut enrouler son bras autour d’elle, mais elle se dégagea, lui lançant un regard apeuré. 


— Non !, protesta-t-elle, entre deux sanglots.
— D’accord… D’accord, capitula-t-il en se redressant en arrière, la gorge nouée. Chivemeyn av Mailh (que le sommeil t’emporte), lâcha-t-il en exécutant un bref moulinet du poignet, tout en posant une main dans son dos.


L’enfant retomba en arrière, le mage soutenant son corps inconscient pour le redéposer lentement sur sa couche, remontant la couverture contre elle. Il porta ses mains en prière devant ses lèvres, fixant le vide en hochant la tête.


— Oui… Je pense que c’était un échec. Une seconde approche devra sûrement être étudiée… Mélicendre va certainement me poignarder dans mon sommeil pour ça. Mais tout homme de science doit faire des expériences avant d’obtenir des résultats probants. Ce n’est pas comme si j’avais appris à être un parent… 


Il jeta un regard de biais à la petite fille dont les troubles semblaient désormais si lointains, lui arrachant un soupir de dépit.


— Je ne sais absolument pas comment je vais m’en sortir, Violette.





Au même moment, Mélicendre se frayait un passage entre les cheffes des clans, Famia, Sera, toutes la dévisageaient d'un air grave, mais la main d'Aeva qui se posa délicatement sur son bras la rassura. Ces regards, elle les avait affrontés de nombreuses fois et, avec le temps, elle avait appris à les décrypter, à lire ce que la bouche ne peut prononcer, mais ce que l'esprit lui, ne peut s'empêcher de dire. "Cette petite a de la chance de posséder un tel don", "Comment ose-t-elle se présenter ici après ce qu'elle lui a fait", "Pauvre Magdalena, et dire que c'est sa seule héritière", "Tu ne mérites pas notre pardon", "traîtresse", "Tu nous as toutes mises en danger", "Nos sœurs sont mortes par ta faute", "ce bâtard devra mourir", " Humpf… Avec un elfe", "Tu tues nos traditions", "Que les ancêtres te maudissent…", "Je suis tellement désolée de ne pas avoir vu ta peine ma fille". 


La voix d'Aeva dans son esprit la sortit de son trouble et de ses pensées, celle-ci était bien réelle et les doigts fins de sa mère pressèrent son bras délicatement. Depuis la réunification, Mélicendre était à nouveau liée au clan et, de ce fait, elles pouvaient à nouveau communiquer entre elles par la pensée. Elle n'osait pas croiser son regard ou se retourner, elles poursuivaient leur marche jusqu'à la tente, quand Aeva reprit.


— Je suis avec toi, avec vous quoi qu'il arrive. Je te le promets. 


Son cœur sembla battre plus fort, elle pressa sa main et l'envie de la prendre dans ses bras lui saigna les entrailles, mais en croisant son regard, la rancune et le passé revinrent comme un rappel à l'ordre. Les yeux bleus face à elle était emplis de regrets et de compassion, mais il était encore trop tôt. Elle lui offrit un léger sourire, fronça les sourcils en cherchant ses mots puis se retourna pour rejoindre Saphia. 
Elle baissa la tête et vint s’asseoir face à la mère des clans sur le sol. Au centre dans la terre, un puits avait été creusé à la main et une coupelle en terre cuite y avait été soigneusement déposée, semi-ensevelie et emplie d’eau pure. La divinatrice dévisagea l’installation d’un air perplexe puis reposa son regard vers Saphia en repliant ses jambes. 


— Mère des clans, salua-t-elle respectueusement.


Saphia haussa un sourcil dans un soupir las et passa une main au-dessus du bol dont l’eau se mit à frémir. Une odeur de thym et de bourgeon de sapin s’en dégagea.
— As-tu une idée de pourquoi je souhaite de voir ?, demanda-t-elle avec détachement, les yeux rivés sur la préparation. 
— Pour me préparer au rituel de l’Aube. C’est ce que Aeva a l’air de croire du moins… Mais ça… - Elle désigna d’un geste du menton le contenant dans le sol. -  Cela n’a rien à voir avec ma grossesse.


Un sourire étira les lèvres de la divinatrice à la courte chevelure cendrée.
— Tu as toujours été douée et très bonnes élèves…
— La meilleure… Même si cela t’a toujours dérangée.


Saphia redressa son regard pour plonger ses deux iris d’ambre dans ceux de Mélicendre, piquée à vif. 
— Tu aurais pu, c’est vrai, mais tu as fait de mauvais choix. - Elle se pencha en avant d’un air dédaigneux. - Tu avais tout pour me seconder Mélicendre, mais tu as préféré tout gâcher et fuir. Tu as mis en péril ta vie et celle…
— Des clans ! Je le sais. Eh bien quoi ? Tu m’as fait demander pour me punir à nouveau ? Penses-tu vraiment que je n’ai aucun regret ? Crois-tu que je n’aurais pas souhaité faire les choses autrement ? Est-ce que tu sais jusqu’où je suis allé pour… 
— Aller mieux ? Guérir ? Oublier ?
— J’avais le droit d’avoir le choix et de me sentir libre Saphia ! 


La mère des clans redressa le buste.
— Donc, on oublie les bonnes manières ? Je vais te dire Mélicendre, tu avais tout cela, mais tu as préféré te lamenter sur ton sort et fuir sans même voir les conséquences. Tu le sais. Que ta douleur ait été insupportable, je le conçois, mais ici plus personne ne te fait confiance… À part moi. 
Mélicendre laissa ses bras tomber sur ses cuisses et écarquilla les yeux incrédules.
— Je ne suis pas d’humeur à rire Saphia… Tu sais… Les hormones tout ça…, reprit-elle, piquante et moqueuse.
— Je suis très sérieuse. Je vous ai observé toi, Aesril, Aeva… Mis à l’épreuve. J’ai observé les clans au fil des années, depuis Aemalia jusqu'à ce jour. Est-ce que tu savais que ma mère avait prédit la destruction des clans par les flammes ? Non, moi non plus. Elle s’est contentée de se taire et de faire en sorte que les divinatrices se sentent à l’abri de tout. Mais Aemalia, dans sa grande bonté d’âme, n’a pas pensé à ce qu’elle allait me léguer. Nous en sommes là Mélicendre : des âmes perdues, des morts par centaines, des cœurs brisés, de la colère et de la peur. Notre clan, notre peuple vivait d’amour et de transmission, aujourd’hui Famia est prête à prendre les armes pour aller tuer tous les elfes qui croiseront sa route, Sera pleure sa petite-fille, son clan est mort avec elle, les autres sont dans le même état, j’ai perdu des sœurs et je n’ai pas d’héritières… 
Les yeux de la mère des clans se remplirent de larmes, la mâchoire serrée, elle poursuivit. 
— Il y a des années, lors d’une cérémonie, les ancêtres m’ont fait une prédiction que je n’avais pas le pouvoir de comprendre… “La mère du changement”, c’est ainsi qu’ils m’ont qualifiée et après tout cela, je suis d’accord. Il doit y avoir du changement, mais je ne peux pas changer les choses seule et il n’y a que toi qui puisses m’aider. 


Abasourdie, Mélicendre bascula légèrement en arrière en fronçant les sourcils. Les mots de Saphia emplissaient son esprit, elle revoyait douloureusement les derniers sourires de Livia, de ses sœurs, des femmes qu’elles avaient côtoyées étant enfant, de celles qu’elle avait retrouvées au Couchant avec Dalmeril et la lueur morne dans leurs yeux, le regard d’Aesril après leurs retrouvailles, celui d’Aeva qui portrait encore les traces indélébiles du regret peint sur un fond de peur puis elle pensa à Violette et à son propre enfant, à l’avenir lui-même. Ses entrailles se nouèrent en repensant à l’attaque de Lyanawën et à sa traque. La peur que le schéma ne se reproduise lui bloqua la gorge. Elle haussa un sourcil en la dévisageant. 


— Qu’est-ce… Qu’est-ce que tu me demandes au juste Saphia ?  
— De l’aide Mélicendre. Tu es la seule personne qui ne se laisse pas ronger par les évènements, tu es une battante et tu as ta famille à protéger maintenant, aide-moi à changer les choses, je sais parfaitement que certaine tradition ne te plaise pas et toi et moi savons que certain mérite d’être remanié. 
— Saphia, même si je le voulais, les ancêtres ne nous laisseront jamais modifier les choses.
— Détrompe-toi. Je leur ai déjà parler, les ancêtres veulent que les clans survivent, que nous nous reconstruisons, mais il y a une condition te concernant.


Mélicendre croisa les bras sur sa poitrine dans une moue pincée. 
— Comme je m’en doutais… Rien n’est jamais gratuit avec eux… 
— Ne sois pas médisante Mélicendre et pense à ce que tout ceci peut t’apporter, tu as agi des années dans ton propre intérêt et là aussi, tu pourras y trouver ton compte. Ils acceptent Aesril et la petite humaine, si tu consens à renouer les liens avec Gloria.


Elle haussa les sourcils, les lèvres pincées par la colère.
— Donc tu es en train de me dire que… Tu as accepté leur proposition en me faisant croire que s’est tas d’os défraîchis étaient tous d’accord alors qu’en faites non… Tu m’as menti et là… ça n’a rien d’une proposition Saphia c'est une obligation ! Tu prends tes grands airs de cheffe, tu me fais croire que tu me demandes vraiment de l’aide, mais en réalité, je n’ai pas le choix si je veux rester ici avec ma famille ! 
Saphia se rembrunit et serra la mâchoire.
— Ne sois pas égoïste Mélicendre. Je te le dis, c'est une opportunité !  
— Égoïste ?! Égoïste ?! Ah oui, oui Saphia, je l’ai été, j’ai été égoïste et autocentré sur moi et ma douleur pour atteindre l’illusion d’un bonheur rempli de pleins de belles choses sans aucunes valeurs, mais aujourd’hui, je suis là ! J’ai payé pour mes fautes, je me suis rallié aux clans, je me suis battue à vos côtés, j’ai perdu des êtres chers moi aussi et moi aussi, j'ai failli mourir Saphia ! Aesril et moi avons tué cette sale garce et nous avons tous deux payé pour ça aussi et là encore, nous avons failli perdre la vie, j’ai retrouvé les divinatrices et je les ai conduites jusqu’ici ! et tu oses me dire que je suis égoïste ? Et que s’est une opportunité ? non retrouvé Gloria, cette cinglée dans ma tête n’est pas une opportunité, c’est un pas dans la tombe ou les méandres de sa propre folie en imaginant une option moins sordide ! 
— C’est surtout mettre ta famille à l’abri, dans un environnement sain, trouvé un but à ton existence et être ce que tu es vraiment, Mélicendre ! Une divinatrice… Gloria ne te causera pas plus de problème que ce que tu es capable de te causer toute seule sans cela. conclut-elle le regard impassible.
— C’est une menace ? Ou là encore, c'est un choix dissimulé… 
— Un choix Mélicendre. Soit, tu acceptes, soit tu refuses, mais dans le second cas. Aesril et la gamine devront partir, sinon Aeva et toi devront être renié du cercle à tout jamais, ce sont les conditions des anciens et il me semble qu’ils restent plutôt généreux envers vous. 


Mélicendre détourna le regard, visant le font de la tente ou des amas de paille tresser se trouver parmi les couvertures, elle se redressa sans un mot sous le regard ahuri de la mère des clans. 
— Où vas-tu ?
— Me préparer au rituel de l’Aube toute seule. 
— Je veux une réponse Mélicendre. Avant le rituel. 


Elle esquissa un sourire narquois en la dévisageant d’un regard sombre et amer. 
— J’y songerai, mère des clans. 


Elle sortit vivement de la tente, le regard lointain, ignorant Aeva qui se précipitait vers elle, n'entendant pas ses mots, elle la bouscula plus vivement qu'elle ne l'aurait voulu et celle-ci se stoppa dans son sillage en la dévisageant avec incompréhension. Mélicendre s'avança de leur propre tente. Au loin, elle apercevait la silhouette du mage à l'intérieur et son cœur manqua un battement, son pouls s'accélérant. De nouveaux enjeux, de nouveaux problèmes. Elle se stoppa face au deux poutres en bois qui marquaient l'endroit. Comment lui dire ? Comment annoncer que la paisible vie qu'ils s'étaient imaginée plus tôt dans la journée n'était qu'une chimère ? Sa mâchoire se verrouilla et ses yeux fixaient le sol dans des songes profond. L’elfe devait certainement attendre Mélicendre avec impatience, car il se redressa aussitôt pour venir à sa rencontre, se mouvant sous l’abri avec précaution, de crainte de réveiller à nouveau la fillette. Il se pencha pour passer le linteau de bois de l’entrée, posa une main tendre dans le dos de la divinatrice et lui tendit un bol de ragoût, tout en baissant la voix.


— Je n’ai pas oublié que tu disais avoir faim, souffla-t-il doucement en réprimant son empressement.


Elle redressa des yeux livides vers lui, les lèvres pincées et prit mollement le bol dans ses mains fixant le ragoût en fronçant les sourcils.


— … Merci… Mais je crois que la faim m'a quitté… Aesril… Je suis une sombre idiote. 
— … Que t’arrive-t-il ?, demanda-t-il, penchant la tête sur le côté avec méfiance. J’en déduis que cela ne s’est pas bien passé avec Saphia.
— Non, elle… Saphia se sert de moi pour avoir ce qu’elle veut et que ses projets aboutissent. 
Elle plongea son regard dans le sien, avec inquiétude. 
— J’ai bien peur que le “repos” ne sera que de courte durée… Je… Je suis désolée Aesril. 
— Je savais que les choses ne seraient pas faciles. Pourquoi en serait-il autrement ? C’est déjà miraculeux qu’elle nous ait acceptés parmi eux. Mais ne sois pas désolée, Joli Serpent, tu sais que je ne tiens pas en place, j’ai vécu toute ma vie à régler un problème après l’autre, un de plus ne fera pas grande différence. Toi, en revanche, tu dois te reposer… Tu dis qu’elle se sert de toi ? Après tout ce que nous avons fait pour elle et pour les clans, comment ose-t-elle exiger quelque chose de ta part ? Que veut-elle, au juste ?
— Justement beau mage… Elle lui offrit une caresse tendre sur la joue. Tu passes ton temps à régler des problèmes et j'aurais souhaité te donner un peu de paix… Ce qu'elle demande, c'est le prix de son acceptation… Elle ne nous a pas tout dit de son entretien avec les anciens. Ils ont accepté à une condition, une condition que je ne suis pas sûre d'être prête à payer. 


Elle lâcha son visage, baissant les yeux sur le sol. 


— … Quelle condition ?, demanda-t-il, la froideur durcissant ses yeux verts.
— Renouer les liens avec l’ancêtre qui m’a offert mon don, annonça-t-elle sans détours.
— Et qu’est-ce que ça implique ? Je ne crois pas t’en avoir jamais entendu parler…


Elle passa sa main dans son dos pour le conduire légèrement à l’écart tout en restant à proximité de leur tente et s’installa sur le sol en ramenant ses genoux vers elle. 


— … C’est vrai, je n’en ai jamais fait mention. C’est en rapport avec la transmission du don et de son enseignement, commença-t-elle dans un soupir. 
— Et en quoi est-ce une mauvaise chose ? Si je comprends bien, toutes les divinatrices sont concernées par cela ?, interrogea-t-il en s’asseyant à son tour à ses côtés.
La divinatrice hocha la tête en déposant sa main délicatement sur le genou du mage.
— Toutes divinatrices oui… Comme tu as pu le comprendre aussi, le mien s'est fait de plus en plus rare au fil du temps. Quand une divinatrice nait, son enseignement magique se fait par la doyenne ou la cheffe de son clan, cependant, avec les dons, c'est plus compliqué, ils diffèrent d'une divinatrice à une autre. Il est transmis par une de nos ancêtres qui nous guide alors, dans sa pratique. Elle devient présente dans nos vies et chaque ancêtre a aussi eu son propre vécu et son propre caractère, chacune à son histoire… La mienne se nomme Gloria. 
Elle se stoppa dans son récit veillant à ce que Aesril ne se perde pas dans son explication.
— … D’accord. Hum… Vous avez une sorte d’ancêtre attitré qui vous transmet son savoir, si je comprends bien. Original. Je trouve cela plutôt positif.


Il plissa les paupières, perdu dans ses réflexions.


— Mais comment cela fonctionne-t-il ? Tu… l’appelles dès que tu as une question et elle t’apparaît pour t’aider ? Dieux, j’ai l’impression que même après la mort, une divinatrice n’a pas le droit de se reposer…
— Oh oui… Je te l'assure, il n'y a rien de reposant… Cela dépend de l'ancêtre, certaines aiment se faire désirer et appeler, d'autres aiment les devinettes, certaines communiquent par vision… et d'autres sont vraiment beaucoup trop bavardes. C'est le cas de Gloria, en plus d'avoir eu une vie et une mort tragique, elle ne s'est pas arrêtée… Elle va, elle vient sans arrêt.
— … Et moi qui me demandais pourquoi tu avais l’air d’avoir un grain, lorsque je t’ai rencontrée. Et… Que te dit-elle quand… elle te “rend visite” ?


La divinatrice le gratifia d'une tape vigoureuse sur la cuisse.
— Très drôle, mais tu ne crois pas si bien dire gros malin ! C'est Gloria qui est à l'origine du rituel de la cage aux sentiments… Et son histoire n'est pas si différente de la mienne… Quand elle me rend visite tout se passe dans ma tête, sa voix hurle dans mon crâne comme un milliard de sons de cloches se claquant contre ma boîte crânienne.


Le mage frictionna sa peau échauffée dans un sourire qui disparut rapidement. Il pinça les lèvres.
— Je vois… La cage aux sentiments. J’ai l’impression que l’histoire s’est moins bien terminée pour elle que pour toi. Ve feilh, mais… Comment as-tu fait pour vivre avec cette femme qui habite dans ton esprit ? Je comprends que tu ne sois pas pressée de la retrouver… N’y a-t-il pas un moyen de l’empêcher de hurler dans ta tête ?
— Je n'ai pas pu Aesril… entre Gloria qui m'assassinait de conseils saupoudrés de critique et Magdalena pour qui je ne faisais jamais assez, j'ai cru devenir folle alors je l'ai fait taire avant de fuir mon clan. On ne peut pas l’en empêcher, du moins pas autrement que ce que j'ai déjà fait et c’est justement ce que Saphia veut… Que j'annule le sortilège. Elle m'a promis que Gloria se tiendrait bien mais… Gloria du haut de ses deux siècles ne changera pas ça j'en suis certaine et même si elle en a fait la promesse aux ancêtres et à Saphia, je ne lui fais pas confiance. Elle cligna des paupières un instant, en le dévisageant un petit sourire au coin des lèvres. Ve fei… Quoi ? C'est nouveau ? Qu'est-ce que cela signifie ? 
Il la dévisagea avec dépit un instant avant de lâcher :


— Vraiment, avec tous les beaux noms elfiques que je te donne, tu choisis de t’arrêter sur ces mots ? - Il parut soudain légèrement mal à l’aise, hésitant. - Eh bien… on pourrait le traduire par hem… “Bordel de merde” ? Je crois que c’est ce qui s’en rapproche le plus. 
— Je vois… En l’occurrence, c'est totalement approprié… C’est un sacré bordel ! 
Il étouffa un rire de la voir ainsi jurer sans fard, secouant doucement la tête de droite à gauche avant de reprendre.
— Quoi qu’il en soit… Je pense que tu as raison. Je suis bien placé pour dire qu’au bout d’un certain nombre d’années, le changement est difficile. Ce serait comme essayer de faire dévier le tronc d’un chêne ancien. Si ton ancêtre a plus de deux cents ans, je pense que son mal-être doit être ancré depuis trop longtemps. Mais… Il y a une chose qui m’échappe : tu vis très bien sans elle, non ? Cela ne t’empêche pas d’user de tes pouvoirs ?
— Je n’utilise mon don que très rarement, car il est comme un inconnu pour moi, je ne l’utilise pas à son plein potentiel et c’est ce qui doit déranger les anciens… j’ai réussi à le dompter un minimum et gérer les visions incontrôlables, naviguer, mais ça s’arrête là. 
— Tu ne l’utilises pas… à son plein potentiel ?, s’époustoufla-t-il, les yeux ronds. Mais…, tu vois le passé, le présent et l’avenir, tu peux t’insinuer dans l’esprit de personnes et leur faire oublier ce que tu souhaites ou, au contraire leur rendre la mémoire… Pardonne-moi, je trouve que ton pouvoir est à l’égal de certains maîtres que j’ai pu rencontrer. Et tu me dis qu’il pourrait être supérieur ?
— … Eh… Bien oui… Peux-tu ne pas me dévisager comme si j'étais une chose étrange ? En vérité, je n'en sais rien, et je ne suis pas sûre que Saphia en sache plus que moi, mais c'est ce que les anciens pensent… Et j'avoue ne pas être certaine de savoir jusqu'où tout ça peut aller. Il y a des rumeurs et des légendes sur Gloria et son histoire n'est pas très rayonnante de bonheur comme je te le disais et… Je dois bien avouer que cela me fait peur… J'ai mis des années à le maîtriser, au minima ne serait-ce que pour amuser la galerie, des années encore pour qu'ils ne me pourrissent plus l'existence, pour finalement le fuir, car je me jugeais incapable de le maîtriser parce que mes émotions étaient trop incontrôlables… Guidé par Gloria j'ai peur de finir comme elle, conclut-elle en fronçant les sourcils portant son regard sur le centre du campement ou toutes les femmes étaient affairées à une tâche.


Aesril baissa les yeux sur ses mains entrecroisées, les dénouant pour prendre celle de Mélicendre dans la sienne, hochant doucement la tête.


— Nous avons fait assez pour ne plus avoir à mettre notre libre-arbitre dans les mains de quelqu’un d’autre, Cael ni Fey. Tu n’as pas besoin de te soumettre à quelque chose que tu ne veux pas, surtout si c’est pour porter un fardeau supplémentaire. Toi et moi, nous nous sommes battus pour que de telles choses ne se reproduisent plus. Tu as fait tant d’efforts pour en arriver là. Que se passera-t-il si tu refuses de toute façon ?
— Nous nous retrouverons en exil… Aeva, toi, Violette, notre enfant, moi et… Aeva et moi perdrons notre essence même, notre magie, notre don, notre lien avec notre famille… Nous ne serions plus que de simple… Humaines, ni sorcières, ni divinatrices, lâcha-t-elle avec franchise, la gorge nouée, les yeux rivés sur les mains noircies du mage. 
— … Quoi ?, s’étrangla-t-il, ses doigts se resserrant subrepticement sur celle de la divinatrice, ses yeux se dirigeant instinctivement vers la tente de Saphia, une lueur vive dans le regard. Te plier à ses exigences ou te priver de ta magie et de ton foyer ?, grinça-t-il.
— Aux exigences des anciens… Mais ce n'est pas tout… Poursuivit-elle dans un long soupir en posant son autre main au-dessus de celle du mage, lui offrant une caresse du bout du pouce. En faisant cela, en acceptant, elle m'offre une place à ses côtés pour guider les clans vers un changement, elle pense qu'à nous deux, nous pouvons changer les choses et que ce qu'il s'est produit avec Lyanawën n'arrive plus jamais et je n'ai absolument aucune idée de ce que cela implique exactement. Elle lança un regard vers Aeva qui avait fini par s'asseoir prêt du feu en compagnie des cheffes de clans. Saphia trouve que ma mère, Famia, Sera et les autres cheffes ne sont plus en état de la conseiller et de prendre part à ses nouvelles ambitions du fait de leurs pertes ou de leurs douleurs… Sera n'a plus de clan et pleure Livia, Aeva serait trop perturbée de m'avoir retrouvée et Famia… Famia serait bien trop guidé par sa haine… 


Le mage hocha de nouveau la tête, lentement. Une part de lui était tentée de se lever dès à présent et de s’expliquer avec Saphia jusqu’à obtenir gain de cause. Peut-être autrefois, aurait-il eu la force ou l’inconscience de se confondre dans de telles confrontations. Seulement, aujourd’hui, il ne pouvait plus penser uniquement à lui. Confronter Saphia, c’était aussi mettre en péril l’avenir de Mélicendre, ainsi que celui d’Aeva et désormais de Violette et de leur enfant à naître. Il se mordit les lèvres, consterné.


— Je vois… Cela… Cela va à l’encontre de tous mes principes. J’ai en détestation l’idée que quiconque fasse preuve de chantage pour nous extorquer quoi que ce soit. J’ai marchandé ma liberté toute ma vie et toi aussi. Et même si Saphia est animée des meilleures intentions, elle n’échappe pas à cette règle. Mais… Je te soutiendrai quelle que soit ta décision. Si tu me demandes : “Aesril, j’ai besoin que tu te battes pour nous.”, je le ferai. J’emploierai tout ce qui est en mon pouvoir pour que l’on obtienne gain de cause. Mais je ne veux certainement pas que tu te sacrifies pour nous. Il… Il y a peut-être des solutions. 
— Je n’en vois pas… Elle se fit tomber en arrière, posant ses bras sur son visage dans un soupir audible. Mais j’ai gagné du temps en disant à Saphia que j’allais me préparer pour le rituel de l’aube… Je peux aussi utiliser ce temps pour rendre visite à une vieille amie… 
— Le “rituel de l’aube” ? Et de quelle amie parles-tu ?
— Le rituel de l'aube, c'est le sort qui nous donnera le sexe de l'enfant… et je parle de Gloria, je peux profiter de ce temps pour l'invoquer et avoir une discussion avec elle, qu'en penses-tu ? Elle retira les bras de son visage pour se redresser sur un coude. C'est la seule chose que je puisse faire.


Posant ses coudes sur ses genoux, il laissa tomber son visage entre ses mains, le ventre noué, repoussant quelques mèches de ses cheveux en arrière. Une part de lui continuait de lui crier que tout ceci n’était qu’une autre prison, un autre lieu où ses choix allaient lui être imposés. Il ferma les paupières en se figurant la multitudes de possibilités qui s’offraient à lui. Son esprit était embrouillé de toutes les explications de Mélicendre. Il réalisait qu’il n’avait aucune idée des règles de son monde. S’y frayer un chemin ne se ferait pas sans efforts. La tâche lui paraissait incommensurable. Comme s’il devait recommencer sa vie du début.


— Je pense que nous pouvons essayer. Et je pense qu’à ce sujet, tu es plus qualifiée que moi pour parler avec les défunts. Mais si cela tourne mal, je ne resterai pas les bras croisés. Quelle que soit notre décision, je pense que je vais devoir discuter avec Saphia. Dieux, j’aimerais qu’une fois dans ma vie, on me laisse le choix ! Le choix de faire un geste généreux, pas de m’imposer quelque chose par la contrainte d’une menace… Et ce rituel… C’est dangereux ?


Elle se redressa entièrement pour l’enlacer de ses bras, le serrant contre elle et murmurant avec douceur. 


— Je suis tellement désolée Aesril… Si tu savais comme j’aurais aimé nous octroyer cette paix. - Elle blottit son visage contre son dos avant de redresser la tête. - Non… Ce n’est pas douloureux, mais ce n’est pas agréable… 
— Encore une épreuve… Ne sois pas désolée. Tu n’es pas seule dans cette quête. Et nous y arriverons. J’ai tout donné pour cela et je donnerai encore. Cela prendra peut-être un peu de temps et… d’adaptation. Tout est nouveau. Pour nous tous. - Il embrassa le dos de sa main avec douceur, respirant le parfum frais de l’été sur sa peau. - Puis-je faire quelque chose pour soulager ce rituel en amont ? Une… préparation, quelque chose de ce genre ?


Elle repassa à ses côtés pour reprendre ses explications en réalisant qu'elle n'avait pas pris le temps de lui raconter ce qui allait ce passé, ni même de le rassurer. Malgré tout, elle-même ressentait l'angoisse de ce rituel et si elle voulait avoir le temps d'une entrevue avec Gloria, l'heure n'était plus au explications.


— À vrai dire, ce rituel n'a rien de complexe, beau mage et j'en ai connu des bien pires… Je t'expliquerai tout en détail à mon retour, mais pour le moment je vais prévoir ma petite entrevue avec Gloria… En attendant tu devrais te préparer toi aussi… et… tout s'est bien passé avec Violette ?, s’enquit-elle en se tournant vers la petite dont elle ne distinguait qu'une masse assoupie sur la paille.


L’embarras passa subrepticement sur le visage du mage qui rejeta son regard au loin, plissant les yeux. 


— Ah oui… Violette. Eh bien, elle était si extatique lorsque je lui ai appris la nouvelle, elle a fini par s’endormir. Je te le dis, cette petite dépense trop d’énergie, il va falloir qu’elle apprenne à se canaliser…
— Ah… vraiment ? interrogea-t-elle en plissant les yeux lisant les traits du mage et cherchant son regard. Dans ce cas parfait, je vais pouvoir la réveiller pour sa première leçon avec Sera et Aeva, elle dormira mieux ce soir, poursuivit-elle en feignant la satisfaction.


Il tourna vers elle un regard empli de lassitude.


— M’as-tu bien regardé ? À ses yeux, je ne suis qu’un inconnu à l’air peu commode qui l’a enlevé contre son gré. Je jure d’avoir usé de mes meilleures capacités en matière de diplomatie, mais sans sa mémoire… Bref, tu as gagné : je t’en supplie, sauve-moi. Parle-lui.


Elle posa une main sur son épaule dans un rire sibyllin.
— Je suis certaine que tu as fait de ton mieux, beau mage… Je vais lui rendre la mémoire avant de partir et tu pourras l’accompagner et rejoindre Aeva et Sera pour qu’elles commencent son enseignement, du moins elles lui expliqueront quelques règles de bases avant le rituel.  
— D’accord… Formidable. Mais avant tout, tu dois manger un peu, c’est un ordre. Et… tu ne crains pas que cela fasse beaucoup pour elle ? Elle… Elle était un peu déroutée et… il se peut que j’aie dû user d’un léger sortilège pour la calmer. Rien de bien lourd, cela dit, elle sera remise en un rien de temps.


La divinatrice fronça le nez avec écœurement en dédaignant le bol de ragoût proposer plus tôt.


— Je mangerai quand je trouverai quoi que ce soit qui ne me donne pas la nausée, elles se font plus… intense ces derniers jours. Et pour Violette, tu as dit toi-même qu'elle a de l'énergie à revendre, c'est une enfant et puis ça ne sera pas long et dans le cas où elle serait trop épuisée tu l'accompagneras se reposer, je compte sur toi pour veiller sur elle, et ne t'inquiète pas tu sauras y faire. Elle se leva doucement en lui adressant une caresse sur la joue du bout du pouce. Tu es prêt ? 


Il hocha la tête de droite à gauche dans un sourire dépité, soufflant l’air par le nez tout en se redressant à son tour.


— Les dieux ont eu un drôle de sens de l’humour de mettre sur ma route une femme aussi obstinée que je ne le suis. Je trouverai quelque chose à te faire avaler, compte sur moi, je sais que tu as déjà dépensé trop d’énergie pour une journée. En tant qu’aîné et maître guérisseur, tu devrais écouter la voix de la sagesse que je représente. Mais, oui, allons-y. Espérons que Violette réagisse mieux cette fois-ci… Jusque-là, les personnes que je retenais en captivité avaient la même réaction qu’elle…
— C’est pour cela que tu m’aimes, non ? Je te promets de manger tout ce dont tu auras à me proposer et Violette à fait son choix, elle voulait te suivre Aesril, elle préférait partir avec toi et une parfaite inconnue, plutôt que de rester avec sa famille. Tu lui as offert la possibilité d’une autre vie, tout ira bien, tu verras. 


Ce disant, la divinatrice fit quelques pas pour entrer dans la tente et s’asseoir aux côtés de la fillette, elle caressa une mèche de sa chevelure avant de poser ses doigts sur son crâne en douceur. Les particules de magie pénétrèrent dans sa chair pour s’insinuer dans ses cavités cérébrales et renoué le lien de ses souvenirs, Mélicendre ferma les yeux dans un profond soupir avant de les rouvrir. Elle lança un regard tendre au mage tout en poursuivant ses caresses, peignant de ses doigts les cheveux de l’enfant assoupi. 
— Elle ne devrait pas tarder à ouvrir les yeux, tout est en ordre, murmura-t-elle d’une voix calme. 


S’étant agenouillé aux côtés de Mélicendre, le mage expira lentement pour tempérer sa nervosité. Il jeta un coup d’œil rapide à la divinatrice, avant de se racler la gorge et d’appeler doucement.


— Hmm… Violette ? Réveille-toi…


La petite fille ouvrit lentement les yeux, une grimace ensommeillée crispant son visage, elle porta son regard sur Mélicendre, puis sur Aesril et se redressa d’un bond, la bouche grande ouverte de stupeur.


— Madame Nora… et Monsieur Nora ! Alors, c’est vrai ? C’est vraiment vrai ?!


Elle se précipita dans les bras de l’elfe, les larmes ruisselant à nouveau le long de ses joues rosies. 


— Je suis désolée de t’avoir oublié, j’avais tellement peur… Pendant un moment, je savais plus qui tu étais… Et j’ai pas pu dire au revoir…


Se figeant, les épaules plus crispées que jamais, le mage jeta un regard affolé vers Mélicendre. La divinatrice lui offrit un sourire compatissant, les yeux emplis de tendresse. Elle déposa sa main dans le dos de la fillette et parla d'une voix douce.


— Violette ? Te souviens-tu de nous avoir demandé de venir avec nous ? Après que nous t'ayons dit toute la vérité ? 
— … Ou… Oui… Mais… Monsieur No… A… As…
— Aesril, reprit le mage qui crut bon de venir à son secours.
— Asril, tu as crié sur moi et puis… plus rien. Mais… Ça veut dire que… Tu as changé d’avis ?


Aesril hocha silencieusement la tête, les lèvres pincées. Maladroitement, il passa un bras autour de l’enfant.


— … Oui. Oui, j’ai changé d’avis. Pardonne-moi… D’avoir haussé la voix. Et… du reste. Les choses ne se sont pas passées comme je l’aurais voulu. Je suis désolé.
— Les adultes me demandent jamais pardon, d’habitude. Tu es vraiment pas comme les autres, s’amusa la petite fille qui redressa des yeux humides, mais souriants vers le mage.
— Non…, souffla-t-il à mi-voix, relevant des yeux emplis de tendresse et un sourire satisfait vers Mélicendre.
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