L'Ordre des Lys et du Serpent
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Général Patafouin
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XXVI - Éclats Empty XXVI - Éclats

Ven 29 Sep - 15:30
— Que les ancêtres se dépêchent, toute cette emphase commence à m’ennuyer…, marmonna-t-il sombrement, serrant la main d’Aeva sans s’en rendre compte.


Vera prit la parole, le visage impassible, tandis que Willa dévisageait la foule en analysant chaque visage, avant de s’arrêter sur Aesril, le détaillant des pieds à la tête, pour finalement le fixer dans les yeux avec insistance, comme si celle-ci souhaitait percer son âme. Aeva fronça les sourcils et la dévisagea avec froideur. Le mage, quant à lui, soutint le regard de l'esprit, déconcerté d'être ainsi scruté, il se demandait si la femme attendait quelque chose de lui. Imperceptiblement, il sentait la magie se diriger un peu plus fort vers lui.


— ... Que se passe-t-il ?


Aeva commençait à desceller les lèvres pour lui répondre quand la voix de Vera l’interrompit.


— Divi atri ! Adventum renascentis futuri in nostras clanis celebramus.


Sur ses mots, les divinatrices se mirent à crier et hurler dans des trilles suraiguës, se levant vivement, les jeunes filles devant, se mirent à frapper dans leurs mains. Aeva posa ses mains sur ses lèvres bouche-bée et la foule se rua vers Saphia et Mélicendre qui se redressait douloureusement, le teint pâle, tentant de faire disparaitre le sang avec les tissus de son jupon. Dans la cohue, les deux ancêtres disparurent, s’évaporant dans une fumée bondée de particules de magie ensanglantée. Pris de cours par ce violent changement Aesril était toujours happé par la tension qu’il ressentait encore si vivement et par les yeux verts et perçants de l’ancêtre qui avait disparu subitement, mais dont il sentait encore l’énergie bourdonnante frapper contre son crâne, s’évanouissant lentement dans la nature. Il cherchait Mélicendre du regard, sans la trouver dans la foule et son cœur s’accéléra, convaincu qu’il aurait eu le temps d’agir si la situation venait à dégénérer, sans songer que les choses iraient si vite ou qu’il serait incapable de percevoir les signes. Se mordant rageusement la lèvre de s’être ainsi laissé distraire, il tourna son regard vers Aeva, blême et muette et attrapa vivement le bras de la première femme passant à côté de lui, dardant son regard sur elle, inquisiteur.
— Qu’a-t-elle dit ? Explique-moi. Je ne le demanderai pas deux fois.


La jeune femme aux cheveux blonds le dévisagea, apeurée et surprise.


— Ce… C’est une fille, bégaya Talyssa. Elle attend une fille…


La mine d’Aesril se figea dans une expression de profond désarroi et il finit par, très lentement, relâcher sa prise sous le regard ahuri de la divinatrice qui préféra fuir que d’attendre sa prochaine saute d’humeur. Mais celui-ci avait complètement oublié Talyssa et tout ce qui l’entourait. Il laissa la magie qu’il avait canalisée dans le but de se défendre s’échapper et s’évanouir autour de lui et fixait la foule, procédant l’information dans son esprit. Quelque part, cela fixait ce fait dans la réalité, le rendait un peu plus tangible. Il allait être père. Il s’était imaginé devoir se battre, affronter les événements et l’adversité, comme il l’avait toujours fait. Mais l’adversaire venait de fondre sous ses doigts pour le laisser seul face à cette réalité pourtant ordinaire. Et sans qu’il sache pourquoi, il se sentait soudain incapable de faire quoi que ce soit. Aeva se tourna vers Aesril reprenant soudainement vie et se rappelant sa présence, tandis-que les femmes aidèrent Mélicendre à se lever, la débarrassant de son jupon ensanglanté pour la revêtir de sa robe ternie par son périple. La mère de la divinatrice attrapa le bras d'Aesril avec douceur encore sous le choc de la nouvelle, partager entre une joie immense et l'inquiétude. Elle l'emmena près du grand festin que d'autres divinatrices étaient en train de dresser alors qu'un petit groupe de femmes se mettait à chanter. Aeva attrapa une jarre en terre cuite et versa le liquide blanchâtre dans deux bols.


— … Je pense que nous en avons besoin…, soupira-t-elle en lui tendant le récipient plein à ras bord tandis qu'elle laissait son regard se perdre sur la façade de grès.


Il se contenta de prendre le bol, sans desserrer les lèvres pour marmonner un “Hmm” d’approbation et d’en boire le contenu d’une traite, cherchant distraitement Mélicendre du regard, avant de se resservir une autre rasade. Elle lui tendit son propre bol vide, pensivement, avant de poursuivre.


— Elles vont bientôt nous la rendre… Vous pourriez soigner sa plaie. Je… Je pense ne pas avoir le courage de bouger d'ici sans avoir fini cette jarre… 
— Hmm… Oui… Oui, bien-sûr, répondit-il en remplissant son récipient, rejetant son regard vers l'entrée de la grotte. Je reviens dans un instant.


Emportant son bol, le mage abandonna Aeva, se dirigeant vers la sortie, serrant un éclat de gemme entre ses doigts, marchant à la manière d’une créature dénuée d’âme.


Pendant ce temps, les divinatrices avaient encerclé Mélicendre telles des hyènes. Livide, celle-ci peinait à se tenir sur ses jambes et à distinguer les voix, les formes se mouvant comme des abeilles bourdonnantes, quand elle tentait de poser ses mains sur son ventre ou son crâne, ses bras étaient aussitôt manipulés par une femme pour être revêtue, elle se sentait comme un pantin enfermé dans une bulle de verre, prisonnière. L’une d’entre elle pencha sa tête en arrière pour faire couler un liquide chaud, âpre et visqueux et trop sucré dans sa gorge, elle grimaça en fermant les yeux, puis les rouvrit et la scène autour d’elle redevint claire, ses muscles endoloris reprirent vigueur. On tira sa longue chevelure en arrière, vivement pour la tressée, sa poitrine fut compressée soudainement dans un corset usé, elle souffla, les entrailles nouées, confuse, perdue. 


— … Aesril… 


Ballottée en tous sens, elle chercha le mage du regard en tentant de pousser les femmes qui l'entouraient. Le liquide fit son effet, elle reprit ses esprits et une couronne de fleurs fraîches fût posée sur le sommet de son crâne.

— Vive les clans ! Aux futures renaissantes !, cria une voix grave dans son dos suivie de trilles et de hurlements joyeux.


Les mains se dispersèrent, les visages, les cris et les chants se propagèrent dans la grotte, la laissant au centre, à nouveau vêtue, coiffée et apprêtée. Son esprit flou, se remémorant les paroles des ancêtres. “Une fille”, soupira-t-elle entre l’angoisse et le soulagement. Elle attrapa un bol de liqueur qu’elle but aussitôt. 


Le mage ne fut pas long à revenir, cependant, repoussant ses cheveux en arrière, le teint brouillé, il replaça la gemme à l’intérieur de son pourpoint ouvert et marcha en direction du brasier, cherchant Mélicendre du regard au beau milieu de la foule, apercevant la divinatrice, il marcha vers elle d’un pas hésitant, l'air confus. Elle posa son pied droit sur le sol, lentement, comme pour s'assurer de sa stabilité et, une fois certaine de la solidité de ses mouvements, se rua vers Aesril pour l’étreindre, laissant perler un larme sur sa joue. Le torrent contenu du choc du rituel et de la nouvelle déferla, mais aucun mot ne sortit de sa gorge. Toute la journée, elle avait eu l'impression de devoir lutter, contre Saphia, contre les ancêtres, contre Gloria, mettant sa peur de côté, mais maintenant que le rituel était derrière elle et que les divinatrices avaient reporté leur attention sur les festivités, les émotions la heurtaient tel un troupeau de chevaux sauvages lancés au galop. La nouvelle lui avait coupé le souffle, prise entre joie, peur, douleur, les mots lui semblaient superflus, elle ne souhaitait que laisser ce torrent s'abattre dans les bras de celui qui, elle le savait, comprendrait. Ses doigts s'entremêlaient dans la chevelure du mage, le nez logé contre son torse, faisant tanguer dangereusement la coiffe fleurie sur le haut de son crâne. Enroulant ses bras autour d’elle, il pressa le corps de la divinatrice contre le sien, ajustant la couronne de fleurs pour la redresser, pinçant les lèvres pour tempérer son intonation, son cœur battant à vive allure.


— Tout va bien, Joli Serpent. Tout va bien. Je suis là, souffla-t-il, juste pour lui faire entendre le timbre de sa voix.


Elle enroula ses bras autour de sa taille plus fermement encore. Dérouté, il fronça légèrement les sourcils.


— Tu… Tu as une jolie couronne.


Elle releva lentement le menton en le dévisageant, le front plissé d'incompréhension, elle recula son visage doucement en levant un sourcil circonspect.


— … Est-ce que… Est-ce que tu viens de complimenter ma coiffure ? … Vraiment… Aesril… Est-ce que ça va ou tu as perdu l'esprit, en désirant mettre la future mère de ton enfant en colère ? 


Le regard de la divinatrice brisa ses dernières défenses, accomplissant ce qu’elle faisait si bien naturellement, le rendant plus vulnérable que jamais et, alors que la fête battait son plein autour d’eux, il se revoyait des mois plus tôt, entouré des divinatrices en liesse, volant en secret un autre moment au destin, lors d’un rituel semblable. Pour ne pas voir ces yeux d’azur qui le troublaient au plus haut point, il la mena à poser à nouveau doucement sa tête contre son torse en la berçant lentement au rythme de la musique.


— C’est… C’est…, s’efforça-t-il d’articuler, sans grand succès.


Mélicendre se laissa faire tant son incompréhension était grandissante, puis elle comprit. Lui aussi avait reçu la nouvelle, lui aussi était sous le choc, dans ce nouveau monde, ce nouvel univers entouré d’inconnues. Elle enroula ses bras le long de ses hanches dans une caresse tendre et ferma les yeux en appuyant ses pas pour que les balancements se transforment en marche. Elle fit remonter une main le long de sa colonne du bout des doigts et remonta sa nuque, son épaule, jusqu’à sa main droite pour la prendre dans la sienne et se reculer en douceur, poursuivant sa danse, elle glissa son regard azur dans le sien, l’air désolé.


— … Une fille, beau mage, murmura-t-elle d’une voix chaleureuse. 


Les entrailles d’Aesril se resserrèrent à ce mot, à la voix de la femme qui n’avait de cesse de tourmenter son âme, son cœur s’emplissant de mille émotions qu’il aurait été bien incapable de nommer. Il poursuivit leur doux balancement, posant son front contre le sien, déglutissant pour mieux se contenir.


— … Oui. Un trésor inestimable, souffla-t-il, la voix tremblante.


“... Et fragile”, vint faire une petite voix dans l’écho de son esprit. Mais il se contenta de l’ignorer. La divinatrice sourit du bout des lèvres, détaillant les traits du mage avec attention en poursuivant avec la même douceur dans la voix.


— … Beaucoup de responsabilités, de doutes aussi, reprit-elle en logeant le bout de son nez contre son menton. 


Il ferma les yeux pour mieux s’imprégner de l’instant, resserrant sensiblement sa main sur celle de Mélicendre, laissant échapper dans une expiration.


— … Ah oui ?
— Bien-sûr… Tu ne trouves pas ? 


Il rouvrit lentement les paupières, descendant sa main vers le ventre de la divinatrice où il l’avait vue recevoir l’entaille.


— Je devrais soigner ta plaie… Tu n’as pas mal ? As-tu mangé, au moins ?


Elle fit la moue, comprenant qu’Aesril ne se livrerait pas aussi facilement.


— Je n’ai pas mangé mais, ma plaie me tiraille la peau, tu as raison, se résigna-t-elle. 


Le mage remarqua le changement dans l’attitude de Mélicendre, mais il se contenta de poser une main tendre au creux de son dos, arrêtant ses pas pour déposer un baiser sur ses lèvres.


— Allons prendre soin de cela, dans ce cas.


Elle hocha la tête en feignant un sourire et le suivit jusqu'à l’infirmerie de fortune, vaguement installée par les divinatrices qui étaient restées sur place pendant que les doyennes, Aesril et la mère des clans étaient retournées  au village. Sur place deux femmes étaient assoupies sur des lits de paille, l'une d'elle avait le torse nu recouvert d'onguent. Entre elles un bol de terre cuite contenait des plantes séchées qui brûlaient, laissant dégager uen forte odeur de pin, de camomille et de lavande et de l'eau bouillait sur un feu visiblement laissé à l'abandon. Aesril jeta un regard de dépit à l’endroit, observant les femmes étendues au sol, il pinça les lèvres.


— Il faudra vraiment faire quelque chose pour améliorer ça… Elles ne peuvent tout de même pas soigner des personnes de cette manière. Bien… assieds-toi et montre-moi cela, demanda-t-il en la menant non loin du feu pour profiter de sa lumière.


Elle resta silencieuse, dans ses pensées, fronçant les sourcils en regardant vaguement le sol tout en retirant sa couronne qu'elle déposa à terre, enlevant sa robe en grimaçant. La plaie était fine et nette, mais profonde, taillant le bas du ventre bombé de la divinatrice dans sa longueur, le sang s'en écoulait encore, bien que moins vivement que pendant le rituel. Elle s'installa sur un tabouret de bois laissé là, le mage posant un genou à ses côtés pour inspecter la blessure, le visage fermé, pleinement investi à ce que qu’il faisait.


— Saphia a bien fait les choses, c’est une entaille très nette. Ce sera réglé en un instant. Tu n’auras même pas de cicatrice. Comment te sens-tu ? Des nausées, des tremblements ?
— … Si on met de côté le fait que tu ne souhaites pas parler de ce qui vient de se passer et que cela me met en colère, je me sens bien, trancha-t-elle, soudainement piquante. Ne fais pas cela, Aesril, pas avec moi… 
— “Voilà… C’est bien ma chérie ! Il faut dire les choses, ne laisse pas ce bel étalon, bien que tenant plus du buffle tant il est têtue, te mettre dans tous tes états !”, fit la voix agaçante et chantante de l’ancêtre soudain concerné par les états sentimentaux de la divinatrice. 
Mélicendre se tendit, les plis de ses yeux et la commissure de ses lèvres, plissaient d'agacement et gronda.
— Pas maintenant ! 


Alors qu’il posait sa main au-dessus du ventre de Mélicendre, le mage redressa la tête, interloqué, fronçant les sourcils, dans la confusion.


— … Quoi ? Mais… Parler de quoi ?
— “Dis-moi ma belle… Il a pris un coup sur la tête ou… C’est toujours comme ça ?”
— Gloria, pas maintenant !, cria la divinatrice avant de tourner vivement son regard vers Aesril, à bout de nerfs.
— Ah oui… L’autre cinglée.
— Oui et bien l’autre cinglée comme tu dis n’as pas vraiment tort, figure-toi ! De ta fille Aesril, du fait que s’est une fille et de… de ce que l’on vient de vivre ! Par mes ancêtres…
— “ Mélicendre ! ne jure pas…”
— LA FERME ! 
— “Bien…Bien… J’ai compris….” 
— Je disais, reprit-elle en remettant ses pensées en ordres après ses interruptions troublantes dans son esprit. De notre enfant Aesril, je veux que tu me parles… Je t’en prie… 
— Je vois que ton ancêtre n’a pas été longue à se faire un avis sur ma personne, lâcha-t-il, taciturne, en envoyant quelques bribes de magie vers la plaie de Mélicendre. Nous en avons parlé, pourtant. Tu…


Il s’interrompit, baissant légèrement sa main, sans oser redresser son regard vers Mélicendre.


— Nous allons avoir un enfant… Une petite fille. C’est une merveilleuse nouvelle.



Détachant chaque phrase, les prononcer semblait nécessiter de la concentration, comme s’il pesait le moindre de ses mots, pourtant simples.
— Non, nous avions évoqué des faits potentiels… Là, c'est réel, c’est une fille et je… Elle se mordit les lèvres en plissant les yeux. J’ai besoin, que tu me dises ce que tu en penses, que tu me dises… Je ne sais pas Aesril, parle-moi… 


Il la dévisagea, faisant naviguer ses prunelles vertes sur le visage de la divinatrice, visiblement en proie à une intense réflexion.


— … Je t’ai déjà dit ce que j’en pensais. Je suis… Elle… 


Il soupira en fermant les yeux un instant, faisant passer sa main au-dessus du ventre de Mélicendre, dans un geste plus vif que d'ordinaire, la plaie se refermant dans un fourmillement chaud, pour laisser place à une peau neuve, seulement maculée du sang déjà écoulé.


— Je suis… Fou de joie. De… devenir père. Et… De pouvoir… élever cet enfant. Avec toi, conclut-il, difficilement.
Elle posa une main sur son visage, ses iris humides, encline au trouble.
— C’est… C’est vrai ? Tu le penses vraiment… 

Il hocha la tête, la mâchoire serrée, répondant aussitôt.
— Oui. Oui, bien sûr.


Elle relâcha son emprise, se détendant et se basculant en arrière pour détendre son dos et laisser la magie du mage terminer son œuvre, sentant les particules chaleureuse s'insinuer dans ses tissus, fermant les yeux pour ressentir la douleur s'évaporer doucement. 


— … Tu n'as pas peur ? 


Il s’interrompit, relevant lentement son visage fatigué vers le sien, prenant une longue inspiration avant de demander :


— Pourquoi tu fais cela ?
— Pourquoi je fais quoi ? demanda-t-elle aussitôt en relevant un sourcil perplexe vers lui. 
— Ça…, répéta-t-il en tournant sa paume vers le ciel. Toutes ces questions. Je… Je croyais que tu serais comblée. Tout est pour le mieux, tu es chez toi, ta mère est en vie, nous allons garder cet enfant… Qu’est-ce que tu cherches à faire, au juste ? Pourquoi vouloir me tirer les vers du nez sur ce que je ressens, alors que j’ai l’impression de faire exactement ce que l’on attend de moi depuis le début ? N’est-ce pas suffisant ? Que je te dise que je suis heureux de cette nouvelle ? Que je sois là, avec toi ?


Elle pinça les lèvres en serrant la mâchoire durement, un voile de déception balayant son regard. Elle se plaça sur le bord du tabouret se préparant à se redresser.


— Que tu sois honnête Aesril. C'est tout ce que je voulais. J'aurais aimé… Que tu tiennes tes promesses. 


Elle se leva complètement, détournant le regard d'Aesril pour quitter l'infirmerie la main sur son ventre rebondi. Il entrouvrit les lèvres, désemparé, avant de se raviser, la nuque basse.


— D’accord… On dirait bien que c’était la mauvaise réponse. 


Il referma la main, chassant les dernières bribes de magie qui la parcourait, serrant les doigts plus fort que d’ordinaire avant de se relever lentement, les muscles fourbus par ces journées de marche éreintantes de ces dix derniers jours. Il laissa son regard se perdre sur l’infirmerie improvisée.


— Feyr’n … Je n’avais même pas terminé de nettoyer sa plaie. Je préfère les patients moins mobiles. Il va vraiment falloir faire quelque chose de cet endroit, marmonna-t-il, la tête lui tournant légèrement sous l’effet de la boisson et de la fatigue.


À ces mots, il raviva les flammes du brasier d’un geste, battant doucement l’air du bout de ses doigts, avant d’inspecter les lieux pour chasser la moindre saleté qui pouvait s’y trouver et de remplir d’eau pure des bols d’eau qu’il déposa près des lits des deux convalescentes. Il fit quelques pas sous la tente, arrangea les pans de celle-ci, marcha encore sur place, cherchant quelque chose à se mettre sous la main.


— Il doit bien y avoir quelque chose que je peux faire… 


Il finit par trouver un brin de lavande sèche qu'il se mit à égrener au-dessus d'un récipient, prenant place sur le tabouret près du feu, se perdant dans ces gestes simples, remuant ses lèvres sans faire vivre les mots qu'il aurait aimé prononcer.


Au même moment, Mélicendre traversait les danseuses enivrées par le rythme du luth, des chants et de l'alcool de fruit, le regard livide, manquant de percuter chacune d'entre elles, arrivant finalement jusqu'à la petite tente. Elle s'agenouilla pour ramper jusqu'à sa couche mise à l'écart de celle d'Aeva et de Violette qui dormait toujours d'un sommeil lourd. Elle passa ses doigts sur la balafre sur son ventre, la peau à peine refermée encore tiède puis releva ses jupes pour glisser sa main sur d'autres cicatrices plus anciennes le long de ses cuisses, invisible pour les autres mais indélébiles pour elle-même. Les yeux fermés, son cœur se mit à battre si fort qu'elle manqua de s'étrangler, mais elle la connaissait, cette infliction, le poids dans sa gorge qui empêchait l'air de remplir ses poumons, c’était la lourdeur impétueuse et fourbe des non-dits. Du poids des mots qui s'essoufflent. Elle se redressa pour tirer sur un bol rempli d'eau dans lequel un morceau de tissu était trempé, le passant avidement sur son visage comme si son souffle en dépendait, les larmes discrètes se mêlant à l'eau claire pour ruisseler le long de sa nuque, retirant les traces du charbon sur sa peau. Elle détacha la couronne de fleurs de ses cheveux qu'elle ébouriffa, puis délassa sa robe pour passer le linge sur son ventre espérant effacer bien plus que les simples traces de sang ou de charbon.


— Oh… Ma belle… Tu ne pourras pas effacer ce qu'il vient de se passer avec un simple tissu déchiré… Le feu brûlera tant qu'il sera alimenté…, souffla Gloria avec une douceur compatissante.
— Que veux-tu dire par là ? 
— Que le poids des non-dits, c'est comme un feu ardent. Plus tu l'alimenteras et plus il te dévorera… Tes émotions parlent ma chère, si tu ne les écoutes pas, tu te perdras dans le chaos. 


Elle souffla un rire cynique. 
— Tu en sais quelque chose hein ? Au sujet des émotions refoulées, de l'amour, de la famille… fit-elle amer et sarcastique.
— Si je suis là, Mélicendre. C'est pour que tu ne reproduises pas mes erreurs… 
— J'en ai assez entendu Gloria.. Merci.


A ses mots, aucune voix désagréable n'intervint. Seul le luth et les rires interféraient avec sa tristesse et sa mélancolie. Elle s'allongea sur le lit de paille, ramenant ses genoux contre son ventre qui vibrait doucement sous la pression, elle y enroula ses bras et ferma les yeux, laissant les larmes muettes humidifier ses joues.
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