L'Ordre des Lys et du Serpent
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Betsy
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XXVII - Non-dits Empty XXVII - Non-dits

Dim 15 Oct - 19:59
“Certaines personnes ne sont tout simplement pas faites pour être ensemble…”








— … Tais-toi vieille pyromancienne grincheuse, marmonna le mage en sursautant, réveillé par le son de sa propre voix.




Ouvrant lentement les yeux dans la pénombre de la grotte, il déplia difficilement les bras qu’il avait gardés croisés contre sa poitrine toute la nuit durant, le dos et la nuque fourbus d’avoir dormi sur le sol, adossé contre le tabouret, près du feu dont il ne restait plus que des braises. Il se massa la nuque, retrouvant à ses côtés une carafe en terre cuite dans laquelle il restait un fond de liqueur de sapin. Sur une pierre, il distinguait les bribes de la fin de sa soirée, des petits bols de préparations et décoctions soigneusement alignés, et dans l’eau encore tiède de la marmite, la lavande infusée dégageait encore des effluves fraîches et apaisantes, embaumant toute la tente de l’infirmerie.




— Oh… Vor’ch ni…
— Est-ce que vous allez bien ?
 
Il sursauta de nouveau, surpris par le son de la voix dans son dos. L’espace d’un instant, il avait oublié qu’il n’était pas seul ici. Il se tourna vers la convalescente, le cœur battant.




— Par Auri-El… Vous m’avez fait une de ces peurs… 




Il se pencha pour attraper un récipient rempli d’eau à ses côtés et en boire une bonne rasade, calmant la soif de sa bouche empâtée par le sucre et l’alcool.




— A part un bon mal de crâne et un dos en bouillie, je me porte à merveille. Et vous ?
La femme étendue sur le couchage de paille rit doucement.




— Mieux qu’hier et moins bien que demain. Mais cette lavande est très revigorante. Merci.
— Au plaisir. Faites-moi savoir si vous avez besoin de soins. Je suis guérisseur. Enfin, c’est ce que je faisais pour gagner ma vie avant. Quand je ne m’embarquais pas dans des complots je veux dire… Dieux, je parle trop pour une matinée. C’est bien le matin ?
— Oui, fit la divinatrice en souriant. Et merci, pour l’instant, je crois que du repos et être auprès des miens est tout ce qu’il me faut. Mais je m’en souviendrai.




Il hocha lentement en avalant ce qu’il restait d’eau dans son récipient, avant de se masser les côtes, cherchant une potentielle douleur dissimulée par les vapeurs du sommeil.




— Aucune furie n’est venue me frapper dans mon sommeil, à tout hasard ?
— Non…, lâcha la femme, surprise. Pourquoi ?
— C’est bien ce qui m’inquiète. Ce n’est pas normal.




Il se redressa aussitôt, rajustant sa chemise, dont il avait retroussé les manches, versant à nouveau de l’eau dans le bol de celle-ci, avant de reprendre, pensivement, à l’attention de la convalescente.




— Je vais revenir. En attendant, hydratez-vous bien.
— Compris, docteur, lança la divinatrice en prenant le bol qu’il lui tendait, amusée par son étrange comportement.




Il quitta la tente sans plus tarder, jetant un regard circulaire à la fourmilière qui s’activait déjà dans le sanctuaire. Les divinatrices enfin rassemblées s’activaient pour faire de cet endroit un véritable lieu de vie et s’affairaient, travaillant la terre, tissant des paniers et tressant du fil, tannant du cuir et affûtant des pierres alors que les premières lignes d’un four prenaient forme sous les mains agiles des femmes les plus expérimentées. D’agréables odeurs de nourriture, de viande grillée et de bouillons d’herbes, de racines et de champignons parvenaient aux narines d’Aesril qui réalisa soudain combien l’appétit lui manquait. La soirée de la veille revenait douloureusement s’insinuer dans la mémoire du mage, les derniers mots échangés avec Mélicendre sonnant comme un échec à ses yeux, alors qu’il se revoyait, la tenant dans ses bras, échangeant ces pas de danse après cette annonce si tonitruante qu’il en avait perdu le fil de la réalité. Il se massa la gorge, ayant la sensation que celle-ci se nouait, comme emprisonnée par un foulard trop serré, mais son cou était libre, désormais. Seuls les mots lui manquaient. Comme son cœur se mit à battre plus fort contre sa poitrine, il laissa son regard naviguer à la recherche d’un visage familier, quand il vit Aeva près du grand brasier central. Il se dirigea vers elle avec une forme de soulagement. Après tous ces jours passés auprès d’elle, il avait fini par trouver du réconfort en sa présence, aussi saugrenu que cela lui paraissait. La divinatrice était assise prêt du feu en compagnie de quatres autres dont Famia et une autre femme de son clan qu'Aesril avait vue de nombreuses fois en sa compagnie, toutes avaient le teint blafard et tenait un bol contenant un liquide chaud, visqueux à l'odeur nauséabonde. Aeva leva des yeux vitreux dans sa direction puis plissa le nez en buvant une gorgée avant de le saluer et de l'inviter à se joindre à elles. 




— … A voir votre tête… Cela ne peut que vous faire du bien… 




Elle plongea un bol dans la marmite et lui tendit le récipient. Il grimaça en apercevant la mixture, mais se saisit malgré tout du bol que lui tendait Aeva, estimant que toute aide pour traverser la journée serait la bienvenue. Il esquissa un demi-sourire en les détaillant.




— Eh bien… Vous vous êtes bien amusées à ce que l’on dirait.
— Nous avons célébré la fin des clans par votre faute…, soupira Famia en buvant une gorgée dans un sourire narquois.




Il souffla un rire, haussant les sourcils en feignant l’étonnement.




— Je savais que j’étais talentueux, mais j’ignorais que j’étais capable de telles prouesses en si peu de temps… Dites-moi, vous avez aussi célébré la fin de la gastronomie, non ?, demanda-t-il en baissant les yeux sur le contenu du bol. Ça a l’air infect.




Famia haussa un sourcil, ses lèvres fines s’étirant dans un sourire malicieux. 
— Ce n’est pas une boisson pour les Elfes, vos papilles si “sensibles” ne le supporterez pas. Elle se tourna vers sa comparse. Louna, apporte-nous donc du thé à la rose pour notre invité de passage, fit-elle d’une voix se voulant plus aiguë, moqueuse. 




Aeva leva les yeux au ciel dans un hochement de désapprobation.
— Calmez-vous… soupira-t-elle. Ce n’est qu’un petit remontant, contre les migraines… et surtout la gueule de bois… La liqueur est bonne, mais elle mérite encore quelques petites améliorations… 
— … Le remède aussi, fit le mage en laissant le breuvage couler le long de sa gorge. Ne serait-ce que pour en améliorer la texture, sous le rire satisfait de Famia.




Il hésita un instant, s’humectant les lèvres avant de s’agenouiller près d’Aeva pour demander, à voix plus basse.




— Alors… Vous avez transmis votre joie de devenir grand-mère auprès de votre fille ?
La doyenne but une petite gorgée et dévisagea le mage de biais, dans un mélange de perplexité et d'intrigue.
— Non mais rien de très étrange puisque nous n'en sommes pas encore là… Pourquoi cette question ? Et… Où avez-vous disparu cette nuit ?, questionna-t-elle d'un ton suspicieux. 
— Je m’occupais de l’infirmerie, il faut bien que quelqu’un le fasse… 
Il baissa un peu plus la voix, avant d’ajouter.
— Vous avez vu Mélicendre ? Je veux dire, vous lui avez parlé ?
— Oh… Oui, c'est vrai que c'était le moment adéquat pour s'occuper de l'infirmerie, au beau milieu de la nuit… Elle prit une grande inspiration en approchant son visage du mage. En compagnie de notre liqueur qui plus est… Elle dispense notre savoir aux futures divinatrices, d'ailleurs Violette est avec elle à l'extérieur, répondit-elle à voix basse avant de poser sa main sur son avant-bras. Puis-je savoir ce que vous avez fait maintenant ? Après avoir tourné autour du feu, hum ?
— J’ai…, - il parut soupeser ses mots, avant de lâcher. - J’ai tout raté. Je crois.
Elle fronça les sourcils en posa son bol presque vide sur le sol avant de se tourner entièrement vers lui, fermant les yeux dans un soupir las.
— … Pourriez-vous être un petit peu plus clair Aesril ? Cet incroyable breuvage met quelque temps avant d'agir et j'ai peur de ne pas bien saisir…
— Je ne sais pas bien… Au point qu’elle n’a pas jugé bon d’abattre ses foudres sur moi. Si je devais placer cela sur une échelle de catastrophe relationnelle, je supposerais que c’est assez élevé. 
Il se passa une main sur le visage avant de reprendre.
— Je ne suis même pas sûr de savoir ce que j’ai manqué… Je sais qu’elle attendait quelque chose de moi. Elle semblait douter que je sois heureux, questionnait mes émotions… Qu’aurais-je dû dire ?
Elle haussa les sourcils, grandissant son regard dans un "Ah" mimait de ses lèvres puis posa son index et son majeur sur ses lèvres, entrant dans une réflexion.
— … Et… Que lui avez-vous répondu ? 
— … Que je l’étais. Qu’aurais-je pu dire d’autre ?, demanda-t-il, confus.
— Et… L'êtes vous vraiment ?... 




Il fixa Aeva un long moment, sans agiter ses paupières un seul instant, scrutant le visage de la divinatrice avant de lâcher.




— Quel genre de question est-ce là ? Bien sûr que je le suis, nous allons avoir un enfant, je vais être père, avoir une vie… calme, où rien d’autre ne m’attend que cela, je… Vais apprendre à… Je vais… 




Il s’arrêta, incapable de formuler une réponse qui le convainquait lui-même, avant de hocher la tête de résignation.




— … Là n’est pas l’important. Quoi que j’en pense, je ne peux pas. Je ne peux pas lui dire… Le reste.




Aeva soupira bruyamment en posant sa main sur son avant-bras de nouveau, avant de relever son regard vers lui les lèvres pincées.




— … Vous êtes un imbécile Aesril… Et elle doit être blessée et en colère. Ne vous a-t-on jamais rien appris sur les mensonges, étant enfant ? Croyez-vous vraiment pouvoir cacher vos sentiments à la femme qui vous connaît… Mieux que vous-même, visiblement ? Et pire encore… Ne vous avons-nous pas expliqué à quel point ce rituel était difficile à vivre moralement ? Elle vous a dit tout ça… Ce qu'elle vous demandait Aesril, ce n'était rien d'autre que du soutien et de l'honnêteté, pas vos baratinages invraisemblables. Je vous souhaite bien du courage, cher gendre… Vous allez en avoir besoin et croyez-moi, avec ma fille, votre vie sera loin d'être "calme", surtout si vous continuez d'agir ainsi… moralisa-t-elle d'une voix calme et d'un ton neutre et bas.
— Vous ne manquez pas de culot, vous. Épargnez-moi votre fichu, jugement, merci. Et… Que croyez-vous que je fasse, au juste ? C’est précisément parce que Mélicendre a vécu toutes ces épreuves que j’agis ainsi. Vous croyez qu’elle a envie d’entendre que… Que je doute ? Qu’il y a des choses qui… Qui me dépassent ?




Elle haussa un sourcil et ses lèvres s’étirèrent dans un sourire malicieux.




— Aesril… Vous saviez parfaitement en venant me voir que mes réponses ne seraient pas agréables à entendre. Moi, je n'attends absolument rien de vous et les ancêtres soient loués d'ailleurs. Pour le reste…. Et si vous aviez laissé l'opportunité à Mélicendre de choisir ce qu'elle juge entendable ou non ? Et même que vous pourriez lui demander son avis sur toutes vos autres questions… Car, voyez-vous, ma tête me fait souffrir et, je n'ai pas les réponses que vous souhaitez entendre. 




Elle lui lança un regard entendu dans un rictus amusé. Il la toisa avec lassitude, terminant le contenu de son bol, avant de se relever, lentement.




— Rien de bien surprenant : vous êtes une vieille carne et vos paroles sont toutes plus rugueuses que de la corne. J’ai compris. Je vous laisse tranquillement cuver votre liqueur. Bel exemple pour la jeunesse, madame la doyenne.




Elle reprit son bol qu'elle dressa vers lui.




— Les dieux m'ont bien faite… Ils savent à quel point de corne et de carne, je vais avoir besoin pour lutter contre votre obstination. Belle journée Aesril, et… N'oubliez pas d'apporter à manger à nos patientes, tout à l'heure, poursuivit-elle, espiègle et un brin moqueuse.
— C’est ça, lâcha-t-il en s’éloignant.




Il fit quelques pas, se dirigeant vers la sortie, avant de s’arrêter à quelques pas de celle-ci, ressassant les paroles d’Aeva dans son esprit, s’adossant à la paroi de la caverne en se massant les tempes avant de plonger la tête entre ses paumes en marmonnant.




— “Imbécile”... Elle ne manque pas d’air. S’il existait un manuel digne de ce nom sur les relations sociales, je l’aurais déjà lu… Bon sang, je connais des enchantements de maîtres plus faciles à comprendre que les humains.




Malgré tout, un mot prononcé par Aeva lui avait fait comprendre où il avait échoué : “Choisir”. L’équation s’aligna dans son esprit avec une facilité déconcertante, maintenant qu’il possédait le fragment manquant. Il se frappa le crâne du plat de la main, crispant la mâchoire. La tentation de s’agripper à sa fierté était grande. Posant les mains en prière devant sa bouche, il souffla profondément en hochant la tête.




— Tu as affronté de plus grands dangers. Allez.




Redressant le buste, il se dirigea vers la sortie à grands pas, suivant les voix qu’il entendait au-dehors. Il faisait doux et, dans les hauteurs, le soleil perçait à travers les arbres et se déposait dans la clairière.




En contrebas, à proximité de la rivière se trouvait la divinatrice assise en tailleur sur l’herbe tendre, face aux jeunes filles dont Violette faisait partie, les quatre demoiselles écoutaient attentivement tandis que d’autres fillettes plus grandes avaient visiblement eu pour mission de trouver quelques plantes, Mickaëlla en tête de l’application de l’exercice. Aesril laissa ses pas le mener jusqu’à la salle de classe improvisée, avançant à pas feutrés tout en tendant l’oreille pour entendre sur quoi portait la leçon.
— … C’est la magie qui vous choisi. Il existe plusieurs éléments, Lesquels ?
Voyant que les jeunes filles ne répondaient pas à la question, la divinatrice pointa du regard la rivière à proximité.
— L’eau ! s’écria l’une d’elle. 
— Bien, ensuite… Elle forma un O avec ses lèvres fines dans un sourire ingénu et souffla l’air par la bouche.
— … Le vent ?
— Le vent fait partie de la magie de l’air, oui. Encore…  
— La terre ?, demanda Violette, pleine d’espoir, tandis que le mage s’avançait vers les rangs des élèves, esquissant un bref un sourire attendri, avant de s’agenouiller non loin, discrètement, observant Mélicendre.
La divinatrice sourit à l’enfant avec tendresse.
— C’est très bien Violette. Oui, tu as tout à fait raison, la terre fait partie des éléments. Et enfin le dernier… Elle fit volontairement continuer ses dernières syllabe, laissant planer un faux suspense sur sa petite classe, avant de mimer de ses deux mains un brasier enflammé. 
— La magie des mimes ?, demanda le mage, tout au fond, provoquant l’hilarité des enfants. J’ai comme un doute…
Elle tourna son regard vivement vers la voix d'Aesril et ses yeux s'étrécirent, l'irritabilité se lisant sur son visage avant de revenir vers ses apprentis.
— Non. C'est une magie bien plus… Complexe et dangereuse. Avec laquelle il ne faut pas trop s'amuser… Avec laquelle il faut être SINCÈRE et à qui vous ne pourrez rien dissimuler de ce que vous êtes, vous ressentez, vos émotions seront drainées par cette magie, fit-elle d'un ton pincé en ignorant l'homme à proximité.
— Ça a pas l’air drôle… murmura Violette, tout aussi perdue que les autres enfants.




L’élève elfe hocha la tête, un sourire sagace au coin des lèvres, avant de répondre.




— … Soit. Je me suis trompé, visiblement. Mais il n’est jamais trop tard pour un petit cours de rattrapage. J’ai tendance à oublier certaines leçons.
Elle lui lança un regard courroucé, un sourire malsain étirant ses lèvres.
— … Soit. cher élève. Je vous invite donc à vous joindre à nous. Rapprochez-vous, au premier rang. Ordonna l’institutrice du jour avec verve.  
— Je crois que notre professeure m’aime bien, confia-t-il à l’une des petites filles en obtempérant docilement. Maîtresse, n’avez-vous pas peur que je cache la vue à mes camarades ?
— Il n’y a rien à voir pour le moment, ainsi, je vous demanderai de la fermer. Répondit-elle à voix basse avant de reprendre en souriant à sa classe d’une voix plus audible. Bien. Reprenons, le quatrième élément est donc, le feu. Chacun de ses éléments correspond en principe à l’un de votre tempérament et se définit, pour certaines d’entre vous, dès la naissance. Elle termina sa phrase en hissant ses mains au-dessus de sa tête, faisant venir dans leur creux les particules de magie qui se mêlèrent pour créer une sphère d’énergie électrique, dans un son bourdonnant. Elle tourna un regard entendu vers Aesril puis mis fin à la démonstration. 
— Oh… Wow… 
— C’est désagréable comme bruit… Fit une d’entre elles les mains sur les oreilles. 
— Les personnes non-violentes choisissent la magie de la guérison…, chuchota le mage à l’enfant la plus proche. Ça semble bien dangereux…
— La guérison… coupa Mélicendre en ponctuant sa phrase. Est une pratique plus avancée de la magie, pratique que vous ne verrez pas avant un long moment. Maintenant, levez-vous et mettez-vous par deux, vous allez essayer. 
Deux des fillettes se levèrent instinctivement pour se mettre en groupe, laissant assis face à Mélicendre les trois autres élèves, Violette, Aesril et la jeune fille aux oreilles sensible. Mélicendre se leva pour rejoindre les deux petites et leur expliquaient l’exercice en prenant leurs mains pendant que Violette se dirigeait vers Aesril, amusée.
— Tu fais l’exercice avec moi, Asril ?




Celui observa les deux petites un instant, se remettant sur ses jambes, malicieux.




— Ça semble quelque peu inéquitable… Je ne voudrais pas que tu me réduises en charpie. Non, va avec ton amie. Je te regarde. 




La petite fille aux cheveux blonds hocha la tête avec fierté avant de se tourner vers l’autre enfant et de se mettre en face d’elle pour commencer l’exercice, le mage faisant un pas de côté en les observant, se remémorant de lointains souvenirs d’enfance. Mélicendre s’avança pour expliquer la manœuvre à l’équipe de Violette et releva son regard vers Aesril dans une moue perplexe, les lèvres pincées. Il répondit par un hochement d’épaules, feignant une moue dubitative.




— Je n’ai pas de partenaire, apparemment…
Elle soupira d’un air las, soufflant l’air par le nez en s’avançant pour tendre ses mains vers lui, le toisant d’un regard mauvais.
— Est-ce que tu as été gentil avec ta partenaire, au moins ? Grinça-t-elle à voix basse.   
Il étouffa un rire nerveux, baissant les yeux sur leurs mains, s’humectant les lèvres en cherchant sa réponse.
— Il est possible que j’aie oublié une chose ou deux… J’ai une fâcheuse tendance à vouloir tout contrôler.
Elle haussa un sourcil, la mâchoire serrait ses doigts se refermant vigoureusement sur les poignets du mage. 
— … Non… Tu crois… Répondit-elle en feignant l’étonnement, de mauvaise grâce.  Tu connais ta magie élémentaire ? 
— Je ne sais pas quelle leçon tu veux m’apprendre, mais je demande à mon professeur de faire preuve d’indulgence. Certaines habitudes ont la vie dure… Et je peux sentir ta magie d’ici.
— Tu sais ce qui a la vie dure Aesril ? Murmura-t-elle en approchant son visage doucement pour baisser d’un ton. Ma confiance. Je… Elle pinça ses lèvres, détournant le regard vers les enfants pour vérifier que tout se passait bien. Combien de temps ? questionna-t-elle soudainement. 
— … Combien de… temps ?, répéta-t-il en plissant les yeux.
— Depuis combien de temps sommes-nous “partenaires” ?
Il hocha la tête en relevant les yeux vers Mélicendre, analysant son regard et réalisant la tristesse qu’il avait engendrée chez elle. Il baissa la voix.


— Mélicendre… Cela n’a rien à voir. Hier soir… Tu m’as posé des questions pour lesquelles je n’avais pas les mots. Je ne savais pas quoi te répondre. Je ne savais pas ce que j’aurais dû faire. Aujourd’hui… Je veux bien essayer de te répondre.



La divinatrice lâcha ses mains pour se retourner vers les groupes.

— Les filles. L'exercice est fini, retournez voir Aeva, Mickaëlla et les autres, déposez les plantes à l'infirmerie et reprenez vos corvées. 


(***)


Dernière édition par Betsy le Dim 15 Oct - 20:02, édité 1 fois
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Dim 15 Oct - 20:01
(***)


Les enfants firent la grimace, dans des soupirs audibles avant de se diriger vers le sanctuaire. Une fois hors de sa vue, Mélicendre se tourna vers lui en croisant les bras sur sa poitrine, le masque qu'elle avait revêtue fasse à sa classe se brisant sous ses traits marqués par la peine.


— Mais moi, c'était hier que j'avais besoin de toi Aesril ! Je ne te demandais pas la lune, je te demandais seulement la vérité ! D'être toi-même ! De me parler ! 
Il prit un moment avant de répondre, se désolant intérieurement de la peine de la divinatrice, quand il lâcha finalement, à regret.
— Tu veux dire… Faire tout l’inverse de ce qu’on a toujours exigé de moi, toute ma vie durant ? Ça ne s’apprend pas en un claquement de doigts, Joli Serpent. Crois-moi, je fais de mon mieux. 
Elle le pointa du doigt, la colère embuant ses iris bleus.
— Pas de Joli Serpent ! Je croyais… Je pensais ! J'avais espéré ! Qu'après tout ce temps, tu savais que tu pouvais être toi-même avec moi, Aesril ! Tu… Tu dis sans cesse que tu n'étais pas toi-même, là-bas, au Couchant, que tu devais enfiler ce masque, cacher le monstre, mais regarde autour de toi ! Tes chaînes ne sont plus à tes poignées, ni même à tes chevilles, pourtant tu t'obstines ! Tes barrières et tes chaînes, tu te les forges toi-même ! Ce n'était pas le Couchant le problème, le problème, c'est toi ! Toi et ta peur absurde de t'ouvrir, et cela, même à ceux qui t'aiment ! Elle reprit sa respiration en baissant sa main sur sa cuisse. Tu… Je pensais qu'avec moi… Que pour moi, après tout ce qu'on a vécu et ce qui nous attend, tu ne me mentirais plus sur tes émotions et sur ce qu'il se passe réellement.


Il la regarda un long moment, d’abord avec amertume, puis avec tristesse, pinçant les lèvres, hochant la tête une seule fois, sobrement.


— Bien… D’accord. Eh bien… Dur à entendre. Effectivement, tu es très honnête… 


Il prit à nouveau un moment pour réfléchir, avant de reprendre, la gorge serrée.


— Je fais de mon mieux. Je sais ce que je vaux en tant que guérisseur. En tant qu’enchanteur. Mais pour le reste… – Il hocha les épaules. – Tu as sûrement raison. Et c’est exactement ce que je redoutais d’entendre. Que puis-je espérer offrir dans ce cas ? Si je ne suis pas capable d’être infaillible sur ce point, si je ne puis revenir en arrière pour réparer mes fautes, alors… Quel genre de père serais-je ?, demanda-t-il, à mi-voix, les larmes humectant ses yeux alors qu’il posait la question qui le hantait tant.
Elle caressa sa joue d’un revers de la main, battant lentement des cils en le détaillant.
— Mais tout. Tu as tant à offrir Aesril, tu… Tu ne te l’autorises simplement pas. Hier… Je, j’étais… J’avais besoin de toi, de tes mots, de tes doutes et de tes bras. J’ai peur. Je suis terrifiée et j’aurais aimé pouvoir partager mes peurs avec toi, car je sais, je sens, que tu en as également. À la place, je me suis retrouvé face au guérisseur… Que dois-je faire, moi, pour qu’enfin, tu puisses me montrer ? Être toi ? 
Il se passa une main sur le visage, en proie à une intense nervosité.
— … Rien. Rien. Tu n’as rien à faire, car tu fais déjà les choses très bien. Mais… Hier… Pour la première fois depuis longtemps, j’ai paniqué. J’avais un plan si les choses tournaient mal, tu comprends ? J'aurais presque préféré qu'elles tournent mal, ainsi, j'aurais eu un but, une ligne de conduite claire. Je ne me suis jamais imaginé que les choses pourraient bien se passer. L’espace d’un instant, je… J’avais besoin de savoir ce que je faisais là. J’avais un sens, celui de te soigner. Je pouvais juste être le guérisseur, faire ce que je savais faire. Je me suis dit : “Mais pourquoi ne me laisse-t-elle pas juste être le guérisseur ?” Mais… Être là, avec toi, j’ai soudain eu peur de ne pas être capable. J’ai soudain cru que… Que j’allais tout échouer. Je n’ai jamais été un compagnon. Et encore moins un parent. Et pourtant… Tu vois bien le désastre. J'ai du mal à être… vulnérable. Je ne sais même pas ce que je suis pour Violette… Et quand elle pleure, je perds tous mes moyens. Je n'ai rien d'un exemple à suivre. Certaines habitudes, je lutte pour m'en défaire. Et… j'ai beau savoir que nous ne sommes plus au Couchant… que puis-je te dire ? On apprend à aimer ses chaînes. Elles nous gardent bien à l'abri dans ce que l'on connaît. Mais je veux m'en défaire, Mélicendre, je te le jure, insista-t-il, relevant des yeux implorant vers les siens. J'ai juste…
— On ne peut pas espérer vivre cette vie dont nous rêvions il y a peu, si nous cherchons toujours le pire… Je vois et je comprends tout ça mais… – Elle s’avança avec plus de douceur, prenant son visage dans ses mains avec tendresse. – J’ai besoin de toi… et de connaître tes peurs… J’aimerais t’aider à te défaire de tes chaînes mais… Tu m’en empêches en ne me disant rien… Et en ce qui concerne Violette, pourquoi ne pas lui poser la question ? Cette petite est intelligente et pleine de surprise, si tu n’as pas la réponse, elle saura la trouver pour toi. Tu es Aesril. Tu n’es pas un mage, ou un guérisseur, ou un enchanteur… Tu es Aesril, un homme qui s’est battu toute sa vie pour les causes qui lui tenaient à cœur, pour sa liberté, pour ses proches, tu es doux, tendre et aimant, tu es bienveillant et parfois cynique et sarcastique, ton humour laisse à désirer… Mais voilà ce que tu es, et peu importe le reste. Je ne suis pas une mère, on ne naît pas mère ou père, on le devient, beau mage… Je suis tout aussi perdue que toi à ce sujet mais… – Elle caressa sa pommette du bout du pouce. – Je sais que nous ferons de notre mieux, nous apprendrons ensemble, nous nous tromperons ensemble, mais nous ferons de notre mieux et cette enfant nous aimera pour ce que nous sommes. J’aime Aeva… Pourtant j’ai souffert de ses actes, mais elle reste ma mère et je l’aime. Tu comprends ? 


Il hocha la tête, un léger rictus au coin de ses lèvres, serrant la gemme dans son pourpoint.


— Tu n’as jamais cherché à la tuer, toi… Mais je comprends, belle Mélicendre. Et j’apprécie que tu cherches à rassurer mes incertitudes. Mais je dois guérir mon âme avant toute chose. Et tu es bien placée pour savoir, que ce chemin-là, je devrai le prendre seul. En ce qui concerne le fait d’élever cet enfant, j’aurai besoin de toi. Si tu veux bien de moi et de ce qu’il me reste de santé mentale, tu trouveras en moi un partenaire indéfectible. Pas infaillible, cependant… Et… J’étais à des lieues de m’imaginer que cette grossesse pouvait te faire peur. Je suis désolé. En te voyant avec les tiennes, sachant que ce serait… Une petite fille, j’ai cru que tu serais seulement soulagée.
— Tu connais mon histoire, Magdalena et Aeva ne sont pas les modèles de maternité les plus irréprochables… Comment pourrais-je ne pas avoir peur ? Alors que ma propre mère a laissé sa mère me torturer pendant des années ? J'ai peur de ne pas savoir faire autrement que ce que j'ai vécu et donc… appris et retenu. Je suis avec toi, Aesril peu importe ton état, je t'aiderai comme je le pourrai mais… Moi aussi j'ai besoin que tu m'aides et me soutienne. Et… Je connais une des miennes qui pourrait peut-être t'aider…
— M'aider ? Qui cela ? Et pour quoi faire ? 
— Juliana, pour t'aider à comprendre tes entraves… mais ce n'est qu'une suggestion, répondit-elle hésitante en retirant ses mains de son visage. 


Croisant les bras sur la poitrine, il haussa les sourcils d’un air sceptique, visiblement peu enthousiasmé par cette idée.


— J’ai beau apprécier Juliana, je ne sais pas si je parviendrai à confier des choses aussi privées à une femme dont je ne connais presque rien. Tu vois comme c’est compliqué, même avec mes proches… Parler, ce n’est pas vraiment dans mes habitudes. En fait, c’est plus l’inverse. J’écoute les autres… Enfin, il est vrai qu’elle a déjà réussi à me rendre plus loquace que d’ordinaire. Nous verrons bien. Peut-être. J’ai besoin d’y réfléchir…


Malgré tout, il semblait accorder du crédit à cette pensée, alors qu’à mesure qu’il cherchait des contre-arguments, son visage se détendait. Il releva les yeux vers Mélicendre, réalisant soudain, son cœur se serrant de regret.


— … Je suis désolé. Je me targue d’être plutôt observateur, mais… Cette fois, je n’ai pas su voir. Que s’est-il passé ? Avec ta mère et ta grand-mère ? Tout ce temps, en voyant les clans et ta grande famille et la facilité avec laquelle tes ancêtres ont brisé les traditions pour me laisser entrer, j’ai pensé que tu t’étais toujours sentie bien ici. J’en ai oublié que tu avais fui. – Il approcha une main douce, repoussant une mèche de cheveux du visage de Mélicendre – Nous avons eu trop peu de temps pour nous connaître vraiment…
Elle fit une moue pincée de biais et caressa sa main avec tendresse.
— … Oui, c'est vrai que je n'en parle que rarement… À vrai dire je n'en ai jamais parlé. Seul Aleck était au courant, mais parce qu'il l'a vu de ses yeux et à subit les manipulations de ma grand-mère tout comme moi… - Elle s'installa à genoux sur l'herbe fraîche. - C'était avant la boîte à sentiment, les maisons de plaisirs, si je réfléchis bien, tout a changé à l'annonce de mon don, expliqua-t-elle une brume de mélancolie dans le regard.


Il prit place à ses côtés, observant le rivage, s’attardant sur la pensée fugace qu’il appréciait ces moments de quiétude durant lesquels ils pouvaient échanger tous les deux, librement, sans être pressés par le temps ou par l'imminence d’un événement, avant de revenir à la conversation.


— Ah oui, ce fameux Aleck dont tu m’as parlé une fois, je m’en souviens. Un ami d’enfance, quelque chose dans cet esprit ?
— C'était un peu plus que cela… Je l'ai rencontré pour la première fois quelques semaines après avoir reçu mon don. Au début, ce don était catastrophique, je ne maîtrisais rien et les visions du futur, du passé venaient à moi sans que j’en sois décisionnaire. Mes émotions empiraient les sensations. Je sentais la douleur, la peur, les angoisses, la tristesse, la joies des autres sans pouvoir le contrôler et d'une force que je serais incapable de décrire, je vivais les visions comme si je les avais vécues… C'était dangereux. Gloria essayait de me former, ma grand-mère aussi, mais j'y étais trop sensible. La voix de Gloria devenait insoutenable et les séances d'apprentissage de Magdalena trop douloureuses, elle entrait dans mon esprit pour me faire vivre des bribes de passé en espérant que j'arrive à m'en détacher pour ne pas les ressentir, des souvenirs de torture, des femmes se faisant battre… Je… Un jour, il y a eu un accident. J'étais au marché, à Daguefilante, pour réapprovisionner le camp avant de prendre la mer vers un autre continent et tout est arrivé très vite, je me suis retrouvée submergée, toutes ces images, toute cette douleur… Une femme a attrapé mon bras et je me suis effondrée. J'étais dans un état critique, expliqua-t-elle les traits de son visage se durcissant en se remémorant ses souvenirs.
— Hmm… La leçon, habituelle : aucun don fabuleux ne survient sans prix à payer. Je n’aurais pas aimé être à ta place… Une courte incursion dans ton esprit m’a rappelé que j’ai bien assez de ce qu’il se passe en moi. Comment se fait-il que ce fut ta grand-mère qui faisait ton éducation en la matière et pas Aeva ?
— C’est souvent la doyenne du clan qui se charge de l’instruction et puis, Magdalena n’était pas du genre à laisser une chose si importante entre les mains d’une autre. Elle hocha en plissant doucement les yeux, lui donnant raison. Oui… Je suis désolée pour ça. 
Il tourna le regard vers elle, interloqué.
— Pourquoi ? Pour être entré dans ton esprit ? Non, tu n’as pas à être désolée. Je ne te cache pas que ça aurait sûrement été moins dur à vivre si tu me l’avais raconté… Mais certaines choses ne se racontent pas…


Il parut soudain submergé d’une intense et indicible tristesse, chassant le voile se déposant sur son regard en tournant la tête ailleurs.


— J’ai découvert à quel point nos histoires nous rassemblaient toi et moi. J’ai vécu tes peines et tes joies. J’ai compris pourquoi tu as si peur d’être abandonnée. J’ai eu le temps d’y réfléchir ces derniers jours. Et bien sûr, j’ai vu Magdalena, tes clans, ta famille, comme si je m’y trouvais. Tu avais l’air heureuse, plus jeune.
Elle baissa le regard sur ses mains plongées dans l'herbe.
— … Et je l'étais… et puis j'ai grandi et Magdalena a cessé de me voir comme sa petite-fille… Comme si, comme si je devais porter à moi seule le patrimoine de tous les clans. – Elle releva son regard vers lui en plissant des yeux interrogateurs. – En quoi penses-tu que nos passés sont similaires ? Qu'as-tu vu dans mes souvenirs qui te font dire cela ? 


Il fronça les sourcils en se replongeant dans les douloureux souvenirs, ses lèvres se tordant à l’idée de les évoquer.


— J’ai vu… L’humiliation. J’ai vu combien tu étais seule. Ça m’a rappelé… Des choses que j’avais vécues, bien avant de te connaître. Comme toi, j’ai accepté des choses dégradantes pour m’en sortir et m’en sortir par mes propres moyens. Tu voulais te détacher de ta famille et tu as rencontré… Des personnes abjectes qui ont profité de ta situation. Tu as mis de côté ce que tu ressentais pour survivre. Tu as dû t’occuper de tes douleurs seule. Tu as fini par les mettre dans une boîte. Finalement, ce n’est rien que je n’aie déjà fait. Comme toi, j’ai vendu mon corps. Comme toi, j’ai voulu prouver que je pouvais m’en sortir seul et faire les choses différemment. Comme toi, on a déjà profité de mes rêves et de mes espoirs. Comme toi, j’ai perdu celle que j’aimais, soudainement, sans que je puisse rien y faire... Je ne comprenais pas pourquoi je trouvais tant en toi qui fasse écho à ma propre peine et à mes propres craintes. Aujourd’hui, je vois.
— Je n'en ai jamais parlé. Aeva ne connait pas cette période de ma vie. – Elle posa une main sur la sienne avec tendresse. – Je ne savais pas… Que toi aussi tu étais passé par là. Pour nous le plaisir de la chair, c'est plutôt courant… Bien qu'il y ait une différence entre faire ce choix et y être forcé… J'imagine que cela a dû être terrible… 


Il étouffa un rire pour cacher sa honte.


— J’ai conscience qu’il est difficile de croire que je suis passé par là. Moi-même, je me demande encore… Comment j’en suis arrivé là. Je crois bien n’en avoir jamais parlé non plus… À l’exception d’une fois, oui. Je pensais que c’était moi qui maîtrisais les choses, à l’époque. La personne qui usait de mon corps comme un moyen de paiement était la première avec laquelle j’ai connu le sexe, tu comprends ? J’ai gagné beaucoup grâce à elle. J’ai eu ce que je voulais : le savoir, des privilèges, une position… Ce n’est que lorsque je l’ai obtenu que je me suis rendu compte de ce que j’avais perdu. Mais alors, il était trop tard. Le prix à payer était trop cher… Elle…


Il rit à nouveau, un peu plus nerveusement, hochant la tête de droite à gauche.


— Elle a pris les dernières choses qui m’apportaient un peu de douceur. Elle avait cette étonnante capacité à tout rendre laid. Et en même temps, ses mots sonnaient toujours comme une vérité absolue. Cela fait tant d’années aujourd’hui… Pourtant j’ai l’impression que… 


Il s’interrompit, pudiquement, soudain plus gêné qu’il se fût jamais montré devant Mélicendre, baissant les yeux sur ses mains.


— Excuse-moi, je ne sais pas pourquoi je te raconte cela. Nous parlions de toi et de ta grand-mère. Et voilà que je m’épanche, sur des choses qui sont passées de toute façon, c’est idiot.
— Ça ne l'est pas Aesril… C'est du passé, mais le passé peu importe le temps peut parfois peser bien lourd. Je comprends maintenant nos premiers échanges, cette… première fois. Elle serra sa main avec douceur, le regard compatissant. C'est pour cela que tu es parti si subitement, ce jour-là ? 


Il pinça les lèvres en hochant lentement, serrant la main de Mélicendre à son tour.


— Je ne me cherche pas d’excuses, tu sais, tu ne méritais pas que je me comporte de la sorte. Seulement… J’ai réalisé que tu pouvais entrer dans mon intimité. Que je pouvais t’y faire une place. À ce moment-là, ça m’a terrorisé. Je… Je voulais seulement me servir de toi, comme on s’est servi de moi. Pas tomber amoureux. Larnatillë avait fini par me convaincre que c’était là une faiblesse. Cela voulait dire me livrer. Me livrer corps et âme, parce que je ne sais pas faire autrement. Je ne pensais pas être prêt pour cela. Mais j’étais… Si fatigué d’être seul, je crois.
— Je pense que j'étais dans le même état que toi à ce moment précis. Des années à vendre mon don, mes services et mon corps avec ou sans mes émotions… au fond le poids de la solitude reste le même. À la nuit tombée, je n'étais plus l'aguichante sorcière du Perchoir. Je n'étais qu'une femme profondément blessée, marquée par la vie et seule avec mes sentiments qui grattaient le fond de la boîte pour sortir… – Elle esquissa un petit rictus. – On dirait que toi et moi en avons fait du chemin… 


Il redressa la tête pour plonger ses yeux dans les siens, répondant à son sourire.


— Oui… Une chance que j’ai décidé de me “servir de toi”, fit-il en mimant des guillemets de sa main libre. Aujourd’hui, c’est moi ton souffre-douleur, finalement. Pour mon plus grand plaisir.
— À défaut d'être celui des autres, j'ai enfin trouvé le mien, sourit-elle, le regard espiègle.
— … Bien dit, lâcha-t-il en soufflant un rire discret. Au fait, je veux tout de même la fin de ton histoire. Mes histoires de prostitution contre des livres t’auront distraite, assurément, mais tu ne m’as toujours pas expliqué ce que ta grand-mère t’a fait de si terrible. Tu me racontais comment tu t’es évanouie, un jour.
Elle soupira doucement avant de plisser les yeux dans une moue perplexe.
— Je suis moins douée que toi pour détourner l'attention, visiblement. Elle déplia ses jambes pour les étendre sur l'herbe, cherchant une position plus confortable. Je me suis évanouie dans un fossé… en voulant fuir ces gens… ces pauvres gens et leurs passés ou leurs futurs, encore aujourd'hui je ne suis pas certaine de ces visions. Aeva et Magdalena sont arrivées quelques minutes plus tard, elles avaient senti ce qu'il s'était produit grâce à ce "lien" particulier et mère à utiliser son don pour être sûr de me trouver… Mon corps a cessé de fonctionner. En quelques minutes, une simple bousculade, une toute petite émotion et mon don avait ponctionné toute mon énergie, puisé dans ma magie jusqu'à ce que mes forces vitales ne me lâchent. J'allais mourir, à peine quelques semaines après mon dix-septième anniversaire. Elle frotta ses pieds nus l'un contre l'autre remontant ses genoux sur sa poitrine instinctivement. Je t'ai déjà parlé de notre magie et de comment nous la régénérons ? Tu t'en souviens ?


Il fronça les sourcils un moment avant de tourner la tête vers Mélicendre avec perplexité.


— Tu veux dire que… La seule façon de te sauver était de… 


Il étouffa un nouveau rire.


— Par Auri-El, mais je suis véritablement un héros, finalement ! Je t’ai sauvée tant de fois ! Encore et encore, inlassablement…


Elle plissa les yeux et lui frappa l'épaule d'un revers de la main.
— Et c'est tout ce que tu as retenu !? Elle hocha la tête de fausse désapprobation. Oui… Le rituel tantrique faisait partie de ces options, grand malin, mais Aeva était contre. Elle s'y est opposée, elle souhaitait attendre la pleine lune, nous aurions pu aussi rejoindre une cérémonie des clans, mais à cette période, nous étions sur les routes et les clans ne devaient se réunir que bien plus tard dans l'année. 
— Alors… Comment as-tu survécu ?, demanda-t-il, intrigué.
— Notre clan devait impérativement prendre la mer pour Belkarth. Alors, nous avons embarqué Magdalena avait soudoyé le capitaine du navire en lui offrant ses prédictions pour que je puisse avoir un endroit confortable où me reposer, mais mon état s'aggravait et malgré les refus d'Aeva elle a… Trouvé un jeune mousse pour me soigner. Aleck. Elle l'avait missionné de venir me voir plusieurs fois par jour, me nourrir et me faire la conversation… durant mes moments d'éveil, nous faisions connaissance et puis un jour… C’est comme si… mon corps l'avait attiré à moi, je ne contrôler pas mes pulsions, c'était tout mon être qui demandait à être guéri… une fois réveillé et en pleine forme, Aleck lui, était totalement perdu. Et c'est la que j'ai compris jusqu'où Magdalena était prête à aller. Après cela, les entraînements sont devenus plus violents, elle entrait dans mon esprit pour me blesser, me faire vivre des choses horribles de l'intérieur en espérant que je dresse des barrières qu'elle ne pourrait plus atteindre… La douleur était telle que je ne saurais même pas comment te la décrire et Aeva la regardait faire sans rien dire, sans s’imposer. À ce stade, j'avais déjà fait taire Gloria à l'aide d'un sortilège. Ensuite, nous sommes tombées sur le clan de Famia et cet événement a appuyé mon choix de fuir la cruauté de Magdalena et sa soif de voir son clan s'élever au yeux d'Aemalia, la mère de Saphia. 
— Donc… Ta grand-mère a payé un marin pour qu’il tombe dans tes bras…, répéta Aesril en hochant la tête, dubitatif. Je me demande vraiment si elle a beaucoup insisté. La plupart du temps, les mères paient ces hommes-là pour les éloigner de leurs filles. Combiné à la maltraitance par l’esprit, oui… Oui, je comprends que tu sois partie. Ça avait l’air d’être un sacré personnage ta grand-mère.


Il marqua un temps de silence, son regard se perdant dans le vide alors qu’il alignait les événements aux faits.


— Hmm...
— Elle ne l'a pas payé… Elle l'a manipulé. 
Elle le dévisagea d'un air interrogateur.
— De mieux en mieux… Je ne te vois pas faire de telles choses, si ça peut te rassurer. Ton empathie dépasse ton ambition. Et cet enfant n’est pas un moyen pour toi de t’élever au sein des clans que je sache. Tu accordes trop peu de crédit à ce genre de choses pour sacrifier le bien-être de ta fille pour un peu de prestige. Ce n’est pas ce que tu es. De cela, j’en suis sûr. Mais…
Elle pencha le visage en le détaillant avec perplexité.
— … Mais ? 
— Mais tu devrais parler à ta mère, lâcha-t-il dans un petit sourire entendu.
Elle manqua de s'étouffer et le dévisagea désemparée.
— C'est ta conclusion ? 
— Tout à fait.
— Non. Répondit-elle franchement. Je n'aurais pas ce que je cherche et elle non plus. La situation est bien telle quelle. 
— Allons, je vous ai vues vous éviter depuis que vous vous êtes retrouvées. Vous n’allez pas pouvoir rester ainsi éternellement... Tu sais quoi ? J’irai voir Julianna, si tu acceptes de parler à ta mère.
Elle arqua un sourcil d'un air de reproche puis le fixa d'un regard las. 
— Il n'y a aucune équitabilité dans ce pacte… 
Il continua de fixer le lointain, une pointe de satisfaction dans le regard, imaginant sans mal l'expression de Mélicendre au ton de sa voix.
— Tu dis cela parce que tu ignores qu'il m'est tout aussi pénible de m'imaginer me confier sur ce qui me tourmente à une personne que je connais à peine que toi d'avoir une véritable conversation avec ta mère. Je trouve que ce pacte est tout ce qu'il y a de plus honnête.
—.... Oui… C'est vrai que les pactes honnêtes ça te connais… souffla-t-elle avec humeur.
Cela n’eut pour effet que de le faire s’esclaffer.
— Je m’assure toujours d’avoir le dessus sur mes associés ! 
Il en profita pour voler un baiser à ses lèvres avant de plonger un regard joueur dans ses yeux d’azur.
— Mais hé, ce n’est pas un ordre de ton acolyte. C’est un conseil de ton compagnon. Rien ne te force à accepter.
— Hm… Lâcha-t-elle d'un air badin. Nous verrons qui sait ce que l'avenir nous réserve… 


Les voix des enfants résonnèrent, coupant la divinatrice dans sa réponse. Aeva leur emboitant le pas la mine légèrement plus éveillée que lorsqu'Aesril l'avait retrouvé au réveil. Les fillettes se placèrent derrière la doyenne qui s'avança d'un pas hésitant, voyant que le mage avait suivi son conseil.


— Mélicendre ?, commença-t-elle. Nos jeunes apprenties aimeraient poursuivre le cours et connaître leur élément… Est-ce que tu pourrais…. Poursuivre ? 


La divinatrice interrogea le mage du regard dans un sourire en coin auquel il répondit en hochant la tête, soufflant l’air du nez avec facétie avant de se remettre sur ses jambes, tendant la main à Mélicendre pour l’aider à se relever.


— Pardonnez-moi, je n’ai que trop accaparé notre enseignante. Et j’admets être curieux de voir la fin de l’exercice.
Elle se releva avec son aide dans un sourire avant de reprendre en redressant son regard vers Aeva. 
— Alors poursuivons ! Elle pencha la tête pour s'adresser aux jeunes filles. Avancez et installez-vous assises sur le sol. 
Elle fit signe à Aesril de faire de même et Aeva se joignit aux fillettes, en tailleur. Violette fit signe à Aesril de s’installer près d'elle, d'une façon qu'elle croyait certainement discrète, le mage ne pouvant s'empêcher de sourire en prenant place à son tour. Il profita d'être assis pour glisser discrètement à Aeva, badin :
— Alors, vous aussi vous venez vous confronter aux éléments ?
La doyenne se pencha vers lui dans un sourire en coin.
— Je me demande bien de quel élément vous parlez… répondit-elle en lançant un regard succinct vers sa fille. Vous êtes entier, j'imagine donc que vous faites référence à la cérémonie pour nos jeunes apprenties, poursuivit-elle d'un sourire entendu.
— Bien entendu, je ne vois que cela, souffla-t-il en reportant son attention sur Mélicendre avec sérieux.
— J’ai hâte de savoir ce qu’il va se passer !, trépigna Violette.


La divinatrice récupéra un récipient mis de côté, elle s’avança de la rivière pour le remplir d’eau et le placer devant ses élèves, puis elle alluma un feu juste à côté, d’un léger geste de la main. Elle traça un cercle dans la terre et déposa un bol vide, aligné avec le reste. 


— Vous allez vous approcher, une par une. Nous réciterons ensemble l’incantation que je vous ai apprise aujourd’hui et nous verrons ce qu’il se produit.  


Les jeunes apprenties fixèrent la divinatrice avec sérieux, entre peur et profonde excitation. Mélicendre désigna une des fillettes du regard et l’invita à s’approcher. La jeune fille se plaça face aux bols debout, droite comme une pique, tend la tension marquée ses muscles. 


— Prête ? demanda Mélicendre dans un sourire attendri. 
La jeune divinatrice hocha la tête de haut en bas. 
— Filia sum lunae, ductu elementorum. (Je suis une fille de la lune, guidée par les éléments), incanta la divinatrice, suivie de la fillette. 


Un instant, le silence emplit la clairière. Les oiseaux cessèrent de chanter, le vent s’immobilisa, le torrent de la rivière ralentit et les flammes du brasier devant eux cessèrent de danser. La magie s’empara de chaque âme se trouvant dans le petit coin de verdure, quand soudainement, la rivière se mit à prendre vie, l’eau dans le bol s’éleva dans les airs pour tournoyer, sous le regard ahuri de la fillette, tout autour d’elle. Aeva joignit ses mains avec émotion, devant ses lèvres, un sourire heureux étirant celles-ci, puis l’eau se déversa sur l’apprentie et Mélicendre annonça. 
— L’eau. Félicitation ! 
Elle étreignit la jeune fille qui resta bouche-bée d’émotion et en désigna une autre, répétant les mêmes gestes jusqu’au tour de Violette. 
— Violette ? Tu souhaites… Essayer ?


La petite tourna son regard vers Aesril et Aeva, timidement, comme si elle cherchait leur approbation avant de faire quelques pas vers Mélicendre en voyant le mage hocher lentement la tête à son égard. À ses yeux, ils avaient tous l’air de croire qu’elle aussi pouvait posséder quelque talent magique. Elle se figea au-dessus du bol et plissa les paupières pour se souvenir de l’incantation.


— Filia… sum lunaé… euh… ductu ele… elementorum !
— Sois sûre de toi, Violette, avec plus de conviction ! Le pouvoir de l’intention, c’est ce que tu as dans le ventre tout au fond de toi. Recommence, n’hésite pas, vas-y, encouragea Mélicendre en la détaillant avec tendresse. 
Violette hocha la tête et repris, parlant plus distinctement.
— Filia sum lunae, ductu elementorum !


Aux pieds de la petite fille, la terre se souleva soudain lentement, révélant un minuscule bourgeon au vert tendre qui continua de s’élever encore un peu, dévoilant de petites feuilles. Violette s’émerveilla.


— J’ai jamais vu une plante pousser aussi vite !, s’exclama-t-elle en se tournant vers Aesril. Tu as vu ? J’ai fait ça ! Moi aussi, je suis une magicienne !
— Je vois ça ! Félicitations, Liliveyn tili. Je suis impressionné, admit Aesril dans un sourire doux.
— La terre, donc, annonça Mélicendre dans un sourire fier. Bravo Violette !


Elle la serra dans ses bras en croisant le regard ému d'Aeva puis se redressa pour désigner Aesril de la main, dans un sourire en coin espiègle. Celui-ci haussa les sourcils avec surprise, esquissant un demi sourire amusé.


—  Tu veux découvrir mon élément ? Bien, pourquoi pas.


Il fit quelques pas vers Mélicendre, détaillant le cercle rituel avec attention.


— Tu n’as pas peur de ce qu’il va se passer ? Peut-être vais-je faire faner toutes ces belles plantes.
— C'est un rituel tout à fait inoffensif, ricana-t-elle, malicieuse. Et c'est la base de notre magie, l'élément va te répondre intuitivement, la seule difficulté, beau mage, ce sera de te laisser choisir… ce qui signifie lâcher prise, murmura-t-elle avant de se redresser. Tu as retenu l'incantation ?
— Oui, bien sûr, à force de l’entendre… Lâcher-prise, c’est ça la clef ? 
Il hocha la tête de droite à gauche avec dépit.
— Tout à fait dans mes cordes. Bien… Je commence, donc.
Il prononça l’incantation une première fois, mais rien ne se produisit, tout demeura parfaitement immobile.
— ... J’ai cru voir la flamme vaciller.


Aeva observa la flamme l'air dubitative puis se leva pour prendre Violette par la main. 
— ... Je crois que le repas est presque prêt… et si nous allions aider… Hum. 
Le mage leva la main pour leur signifier de ne rien en faire.
— Personne ne bouge ! Je vais y arriver. Juste un petit instant.
La doyenne se figea et se réinstalla dans un soupir en prenant Violette sur ses genoux.
— Oh… Que les ancêtres nous préservent… 


Il pinça les lèvres, ignorant la remarque d’Aeva, prenant de longues inspirations, fermant les yeux. Il percevait sa propre magie grondant en lui comme un flot intarissable, les éléments, il les avait déjà maniés, alors pourquoi ne se produisait-il rien ? En prononçant l’incantation, rien ne venait se connecter à son énergie. Quoi que la formule lui demandait d’invoquer, cela ne semblait pas présent en lui. Ses muscles se raidirent. Il n’avait pourtant rien à prouver, il savait qu’il était un bon mage, un excellent même, chacun l’avait rebattu les oreilles jusqu’à la pointe qu’il était brillant dans ce domaine, et cela, depuis son enfance. Depuis qu’il était arrivé ici, chaque événement et chaque personne s’obstinait à lui prouver qu’il devait apprendre. Avait-il passé tant d’années à noircir ses doigts d’encre, à user ses yeux contre les caractères imprimés et les glyphes, à mener expérience après expérience, un succès après l’autre, pour seulement savoir qu’il ne savait rien ? Il ne pouvait s’y résoudre. Sa gorge se serra d’orgueil, son front se plissant sous la concentration.
Il prononça à nouveau l’incantation, sous les yeux attentifs de chaque enfant, mais rien ne vint. Hagard, il releva lentement les yeux vers Mélicendre.


— Pourquoi il ne se passe rien ?, demanda Violette à Aeva. Il a plus de magie ?
— Il a trop de fierté, lâcha Aesril, dans un sourire las, conscient de ses propres faiblesses.


Mélicendre posa délicatement ses mains sur les siennes avec tendresse et fit signe à Aeva de partir avec les enfants. Consciente toutes deux du caractère du mage, la doyenne s'exécuta.
— Tu n'as rien besoin de prouver aujourd'hui Aesril… Tu as tout le temps qu'il te faut. Détends-toi, lâche prise. Cet exercice est simple pour des jeunes filles telles qu'elles, elles n'ont pas encore été entravées par la vie… Pour un adulte, c'est bien plus complexe. Fais abstraction du reste, concentre-toi sur toi, sur quelque chose qui te permet de lâcher prise… qui t'apaise.
— Qui m’apaise… répéta le mage. Ce n’est pas la première fois qu’on me demande cela, ici, fit-il en repensant à une ancienne discussion, quelques mois plus tôt. 


Il ferma les yeux pour mieux se concentrer. Toutes les fois où son esprit avait voulu fondre vers le chaos. Toutes les fois où il avait cherché la liberté. Toutes les fois où il avait fait interrompre le flot perpétuel de ses pensées. Il avait toujours offert la même réponse à son corps et son esprit.


— Bien… Je vais refaire un essai.


La divinatrice lâcha ses mains pour le laisser procéder et observa les éléments les entourant.


— Filia sum lunae, ductu elementorum, prononça-t-il d’une voix claire sans quitter Mélicendre du regard.


Doucement, dans un son à peine perceptible, l’eau s’éleva du bol et gagna les mains du mage, avant de s’évanouir en de minuscules cristaux de gel. Il esquissa un bref sourire, hochant lentement la tête.


— Je lâche prise quand je nage.
— L'élément qui fait partie de toi et de ta magie est donc, l'eau annonça-t-elle dans un sourire fier en prenant les poignets du mage avec tendresse. Tu as réussi ! Cela signifie que l'eau est l'élément avec lequel tu auras toujours une accointance, un lien fort et particulier, c'est ta force première, là que ta magie se sent la plus harmonieuse.  
— Comme quoi, il n'y a pas d'âge pour apprendre, soupira-t-il.
— Je suis bien d'accord !, sourit-elle avant d'embrasser ses lèvres. Tu as faim ? Personnellement, je pourrais engloutir les réserves du camp…, souffla-t-elle en posant une main sur son ventre.
— Elle a déjà beaucoup d’appétit, n’est-ce pas ?, supposa-t-il avec tendresse, son cœur se serrant d’allégresse, chaque fois qu’il l’évoquait. J’admets que la boisson répugnante de ta mère a fait son effet. Allons manger. Après cela, il y a une personne avec laquelle il faudra que j’aie une petite discussion.
— Au moins autant que son père je suppose, renchérit-elle avec légèreté. … Tu vas vraiment aller la voir alors ? 
— Un marché est un marché, Cael ni Fey. J’irai la voir. Mais c’est n’est pas à elle que je pensais, dans l’immédiat…

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