L'Ordre des Lys et du Serpent
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Général Patafouin
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Au rythme de l'eau Empty Au rythme de l'eau

Ven 19 Avr - 0:25
Alors que la journée touchait à son terme, les herbes agitées du doux grésillement des insectes de l'été, Aesril repoussa quelques mèches de ses cheveux en arrière et se frotta la barbe d'une main, laissant courir l'autre le long de la planche qu'il avait taillée et poncée, en retirant la sciure, la satisfaction dans le regard. Il baissa les yeux sur ses mains sèches et un peu plus calleuses à mesure que les jours passaient et esquissa un sourire. Il peinait toujours à croire que c'était là son quotidien. 


Il avait travaillé le bois du matin au soir, la journée cadencée par les repas et les discussions qui, à mesure que passaient les heures, ne devenaient plus qu'une rumeur à ses oreilles. Fourbu, il aspirait à un temps de solitude, aussi attrapa-t-il son carnet et le bout de fusain qu'il transportait partout avec lui et gagna les abords de la rivière, là où le cours de l'eau se faisait plus calme, comme il en avait souvent l'habitude, tempérant son allure pour s'accorder le temps de penser. Il arrêta ses pas en apercevant la silhouette familière assise sur la berge, prenant un instant pour l'observer. C'était presque un rendez-vous silencieux qu'ils se donnaient tacitement chaque fin de journée, Juliana et lui. Il appréciait le calme apaisant de sa présence et le respect qu'elle accordait à sa quiétude. Et pourtant, plus le temps passait et plus il sentait l'importance d'honorer la promesse qu'il avait faite bien des semaines auparavant. Bien souvent, il avait tenté de lui parler et bien souvent, il avait abandonné. Ce jour-là, il s'avança vers elle, sans un mot, se penchant vers la rive pour y plonger une main et se passer un peu d'eau fraîche sur le visage, dans un soupir.
Les yeux clos, la divinatrice respirait au rythme du courant, calme et mesuré, pourtant la présence du mage ne lui avait pas échappé. À genou, les pieds ancrés dans le sable de la rive, son intention quitta le courant pour se focaliser sur les sons, écoutant les mouvements d'Aesril qu'elle espérait percevoir. Hésitant,  il se déchaussa, faisant quelques pas sur le sol sablonneux, tournant brièvement le regard vers la jeune femme. Il décida finalement de s'asseoir près d'elle, s’humectant les lèvres.


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— C'est une journée magnifique, souffla-t-il faisant rouler sa voix de son timbre le plus bas, conscient qu'elle devait s'être rendue compte de sa présence, mais rechignant à la déranger.


Elle ouvrit les yeux en offrant au mage un sourire chaleureux tout en portant son regard sur les paillettes teintées d'or, de nacre et d'émeraude qui dansaient au-dessus de l'eau. 


— Une très belle journée, le vent apporte un peu de douceur, c'est très agréable, répondit-elle sur le ton de la conversation. 


Il renvoya son regard vers elle. La situation le tiraillait. Il avait horreur d'éluder les questions importantes, autant que de demander de l'aide.


— Juliana…, commença-t-il, péniblement.
Elle plissa les yeux en le détaillant et se tourna entièrement vers lui en lui offrant un sourire compatissant.
— En quoi puis-je t'aider ? Tu as réfléchi… ?, demanda-t-elle se souvenant de leur dernière longue conversation.


Il souffla un rire en jetant un petit coup d'œil en direction de la métisse.


— Tu me vois ici presque tous les jours. Tu sais que réfléchir est mon activité de prédilection.
— C'est vrai, mais je sais aussi que certaines réflexions sont plus insidieuses. Sachant ça et le fait que tu aimes, tout comme moi, ce petit instant de calme et de quiétude, j'imagine que celle qui te pousse à venir me trouver doit être particulièrement coriace, fit-elle avant de détendre ses jambes, adoptant ainsi, une position plus confortable. 
— … Touché, lâcha-t-il dans un sourire en coin, après un bref silence. Mes inquiétudes… sont peut-être ce que je considère comme le plus privé. Mais… Ah, Vyn Feyl…, pesta-t-il dans un souffle. J'ai pensé que t'en parler pouvait m'aider. C'est au sujet de… de tout.


Il baissa les yeux. Se confier n'avait rien de naturel pour lui, autant qu'admettre qu'il avait des faiblesses. Il eut un nouveau rire nerveux.


— Auri-El… Je ressemble à mon père quand je fais cela.
— Admettre ses craintes n'est pas quelque chose de facile Aesril, c'est normal. Je ferais de mon mieux pour t'aider, tu as des inquiétudes sur ce qui est à venir ? 


Elle montra le camp du menton ou Mélicendre donnait ses enseignements en son centre, accompagnée d'Aeva. Il accompagna son regard, pinçant les lèvres.


— Bien sûr. Je sais que cela peut paraître étrange. La vie est douce ici. Une femme m'aime, nous allons avoir une petite fille. Chacun ici m'accepte. Je suis libre. Libre d'aller où je veux, de faire ce que bon me semble. Seulement… Je n'ai jamais connu cela. La simplicité. La bienveillance. Certains jours, la journée se passe tout naturellement. D'autres, je crains de… de ne pas complètement faire partie de cela. Que ma véritable nature me rattrape.
— Et selon toi, quelle est ta véritable nature ?, demanda-t-elle tout en traçant un cercle du bout de ses doigts dans le mélange de sable et de terre qui revêtait la rive.
— Ambitieux, insatiable. Passionné par le contrôle. Et Mélicendre le sait. Je m'efforce de contenir ces traits de ma personnalité pour elle. Mais je n'ai pas de don de divination. J'ignore si demain, j'en serai capable. J'ignore si je peux être le compagnon, le père.
— Donc Mélicendre le sait, mais tu fais taire ce trait de ta personnalité. Pourquoi ? Tu ne penses pas qu'elle t'aime pour ce que tu es ? Quant au fait de savoir si tu es capable d'être le père et le compagnon, est-ce que tu ne penses pas que ce sont déjà des rôles que tu as ? Regarde, depuis combien de temps es-tu avec Mélicendre ? Et Violette, tu comptes déjà énormément pour elle… 
— Oui… Je… Ce n’est pas que je pense qu’elle ne m’aime pas pour ce que je suis, simplement… Nous ne nous sommes pas connus dans les meilleures conditions possibles, à l’époque, je me moquais de lui faire du mal ou de me servir d’elle. Cet enfant, nous ne cherchions même pas à le concevoir… Je pense que depuis qu’elle a retrouvé ses sentiments, Mélicendre voit le meilleur en moi. Et qu’elle a foi dans le fait que je puisse lutter contre mon envie de contrôler les choses. Y compris de la contrôler. Je te fais confiance, Juliana….


Enchevêtrant les bras autour de ses jambes, les épaules d’Aesril se tendirent subrepticement, raidissant sa posture.


— Ce que je vais te dire doit rester entre nous, d’accord ?


Elle tourna lentement son regard vers lui dans une mine compatissante en voyant son trouble. D’une voix douce et chaleureuse, elle lui répondit en posant une main sur son genou, en le pressant doucement pour appuyer ses mots. 


— Je t’en fais la promesse Aesril, tu peux te confier sans crainte. J’emporterai ton secret avec moi quoi qu’il advienne. 


Il lui adressa un regard emprunt de reconnaissance, touché par la sincérité qui transparaissait de ses gestes, avant de détourner les yeux.


— Mélicendre mourra bien avant moi… Comme tout le monde ici. Même Violette. Si toutefois il ne m’arrive rien de fâcheux. Je pourrais changer cela. Je pourrais la protéger. Prolonger sa vie ou m’assurer que nul ne puisse s’en prendre à elle. Je sais…, ajouta-t-il précipitamment. Ce n’est pas dans vos coutumes, c’est contraire à vos croyances. Mais c’est contraire à tout ce que j’ai toujours cru moi-même, tout ce qu’on m’a toujours enseigné. Lorsque j’étais guérisseur, j’ai appris que le patient avait souvent le dernier mot. Mais je ne peux cacher avoir forcé le destin. Je devrai la regarder mourir peu à peu. Je serai seul avec notre fille. Je… Je ne sais pas si je peux vivre cela, admit-il, la gorge serrée. 


Juliana plissa les yeux dans une profonde réflexion avant de reprendre d'une voix calme.


— Nos coutumes ne sont pas les tiennes et tes peurs sont liées à tes propres croyances sur ce sujet. Comment se passe la mort dans ton pays ? Avec vos croyances ? Tu sais qu’ici la mort n'est pas une fin, cette phrase, tu as dû l'entendre de nombreuses fois mais qu'en est-il pour toi ?
— Nous devenons tous très philosophes quand vient le moment fatidique d'expliquer le vide que laisse la mort. Chez nous aussi, la mort n'est pas une fin, l'âme persiste. Mais le problème, ce n'est pas la mort en soi. C'est la solitude. Je serai seul. 
— Est-ce que Mélicendre t'a déjà parlé de l'ancêtre qui lui a offert son don ?, demanda-t-elle dans un sourire après avoir hoché lentement la tête. 
— Gloria ? J’en ai entendu parler, oui. Un sacré phénomène.
Elle hocha la tête d’un air satisfait.
— C’est ça et tu l’as très bien dépeinte… Si Gloria fait encore parler de son caractère un siècle après sa mort, penses-tu qu’elle ne vit plus vraiment ? Ce que je veux dire c’est que tu as peur d’être seul avec ta fille et Violette si Mélicendre venait à mourir, mais je suis certaine que la mort ne l’empêcherait pas de vous accompagner. Tu savais que les anciens ont le pouvoir de choisir à quelles divinatrices renaissantes elles offrent leur don ?



Aesril hocha lentement la tête, expulsant l’air par le nez.


— Sera m’en a parlé, oui. Où veux-tu en venir ?
— Mélicendre ne t'abandonnerait pas totalement, elle qui s'est senti si seule face à son propre don, ne laisserait pas non plus sa fille… Ce que je veux dire, c'est que la mort ne l'empêchera jamais d'être avec vous. Mais c'est bien normal de vouloir garder égoïstement les êtres que l'on aime profondément pour et avec soi. 


Sans ouvrir la bouche, il émit une courte approbation grave, laissant son regard embrasser le cours de la rivière, ébloui par le soleil couchant.


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— Tu me rappelles quelqu’un que j’ai connu. As-tu toujours été ainsi ?
— Que veux-tu dire ?, questionna-t-elle en fronçant les sourcils d’un air dubitatif. 
— As-tu toujours eu cette douceur d’âme ? Ou est-ce quelque chose que tu t’es entraînée à faire ?
Julianna étouffa un rire spontané avant de comprendre la sériosité de la question.
— … Cela dépend, qu'entends-tu par “douceur d'âme” ? Parce que je t'assure que je peux être tout à fait remonté lorsqu'on interrompt ma tranquillité… 
— Oh oui, j’imagine…, assura-t-il en retenant un rire dans une expression malicieuse. J’en tremble déjà !
Elle répondit par un rire léger avant de reprendre avec sérieux.
— Pour tout te dire, je pense que c’est inné et que j’ai possiblement toujours été ainsi… Toute petite, je me mettais souvent à l’écart pour respirer et j’écoutais plus souvent que je ne parlais… Les événements de la vie m’ont ébréchée, probablement, mais j’ai choisi qu’elle combat, je voulais mener. Je ne suis ni aussi impétueuse que Famia, ni aussi courageuse que Mélicendre ou Livia… Je sais où est ma place et ceux pourquoi je suis douée, être douce, tolérante et à l’écoute, ça c'est-ce que je suis. Elle haussa les épaules avec nonchalance et tourna son regard vers le torrent de la rivière dans un sourire en coin. 
— C’est un don, lâcha-t-il dans un sourire. Le monde a besoin de plus de personnes telles que toi. La douceur rappelle aux personnes telles que moi qu’un autre chemin est possible.
— Il y a une quantité inquantifiable de chemins, c’est le principe même de la divination après tout… Mais… 
Elle déposa une main sur son genou à nouveau pour le presser avec douceur. 
— Je te remercie pour ces beaux compliments. Tu sais Aesril, tes craintes n'ont rien d’insoluble, elles sont même tout à fait normales. Je suis sûre que Mélicendre en partage certaines concernant sa maternité, mais qu’elle trouve du réconfort auprès d’Aeva malgré leur relation particulière. Tu as peur de devenir père, mais tu l’es déjà sans t’en rendre vraiment compte et tu as peur d’être seul, alors que pour le moment la question n’est pas à l’ordre du jour et que finalement peut-être que Mélicendre continuera de vivre à travers votre fille à naître… Sachant cela, est-ce que cela te rassure quelque peu ? Ou peut-être que c’est simplement le fait de ne pas agir et laisser la nature vivre son cours sans pouvoir la contrôler qui t’effraie ?


Il baissa les yeux sur la main de Juliana, légèrement dérouté par ce contact. Les divinatrices étaient si tactiles qu'un tel geste était anodin pour elles, et bien qu'il en eut conscience, cela revêtait toujours un sens plus intime pour lui. Il s’efforça de conserver une attitude détendue, faisant passer son froncement de sourcils pour une simple réflexion.


— Oui, je vois ce que tu veux me montrer et c'est vrai. Tous ces terribles événements n'existent que dans mon esprit et mille autres réalités peuvent se produire entretemps. Seulement… Oui, c'est cela. J'ai œuvré toute ma vie à maîtriser l'incontrôlable et j'ai vécu en servant mes propres aspirations. Imaginer laisser faire alors que je peux faire tourner les choses en ma faveur, c'est… infiniment compliqué.
— Et… Qu’est-ce que tu imagines comme étant des scénarios terribles ?, reprit-elle en replaçant ses mains sur ses propres genoux. Tu sais que je peux t’aider à les visualiser toutes ces possibilités, si tu le souhaites. 
— Les visualiser ?, grimaça-t-il. Mon esprit s'en occupe déjà très bien, tu sais. Mais si tu veux utiliser tes dons, j'ai une autre demande pour toi…
Elle redressa son regard vers lui d’un air interrogateur.
— … Vraiment ? Pardonne mon étonnement, mais au vu de tes réticences la dernière fois, me voilà vraiment prise de court.  


Il ne put s’empêcher de lâcher un rire franc.


— Je ne peux pas dire que ce genre d’expérience mentale me soit particulièrement facile, c’est certain. Mais je commence à avoir l’habitude, à présent, si tant est qu’on puisse jamais s’habituer à vos dons. Et surtout… Je commence à entrevoir les bienfaits de vos pouvoirs. Je dois dire que de mieux comprendre leur fonctionnement fait que… Je commence moi-même à mieux vous comprendre, je pense, ajouta-t-il d’une voix plus douce.


Elle se mit à rire spontanément, d’un éclat doux et chaleureux. 
— Eh bien, ça, c'est une bonne nouvelle, je suis d’autant plus curieuse, dis-moi en quoi mes dons peuvent aider ? 


Il tira sans plus attendre la petite gemme qu’il gardait toujours sur lui, luisant d’un éclat d’émeraude, pour la tendre à Juliana.


— Il y a quelque temps, Mélicendre a enfermé un sortilège dans cette gemme. Pour me permettre de contacter une personne défunte. J’ai… peu de personnes à qui je souhaiterais parler, mais… Je souhaiterais contacter mon père. Je pense qu’avant d’en devenir un moi-même, il est important que je fasse la paix avec mon passé. Mais je crains que… disons que la dernière fois que nous nous sommes vus, cela s’est très mal passé. Enfin… C’est un doux euphémisme. Et je ne sais pas s’il sera très heureux de me revoir. À sa place, je serais toujours en colère. Je me demandais s’il y avait un moyen pour que je m’y prépare. Pourra-t-il… me blesser, lorsque je serai “là-bas” ?


La divinatrice analyse la gemme du regard, celle-ci était marqué d’un sigil, elle pinça les lèvres avant de répondre d’un ton mesuré.
— Cet enchantement est puissant, tu seras comme enfermé de l’un de tes songes. Ce n’est pas comme une invocation, ici, tout se passera dans ton esprit. Les ancêtres ne perdent pas leur attachement à leurs émotions, il pourrait, si sa colère est forte, te blesser, oui, mais plutôt comme une sorte de migraine insoutenable qui durera un temps indéfini… Ce qui m’inquiète en revanche, ce ne sont pas les coups qu’ils pourraient te donner, mais les mots qui pourraient te blesser plus gravement. Es-tu sûr de vouloir t’en servir pour parler à ton père ?


Il tourna à demi son visage vers elle, esquissant un sourire en coin, un petit éclat brillant dans ses yeux en amande.


— Tu t’inquiètes pour moi ?
— Bien-sûr. Affirma-t-elle sans détours.
— Voilà qui est touchant, accorda-t-il en baissant pudiquement les yeux sur ses mains, marquant une pause pour ravaler précipitamment une sourire. Ainsi, tu penses que ce serait une erreur de lui parler ? Tu sais… Je ne pense pas qu’il puisse me dire des choses plus épouvantables que de son vivant. Il a voulu me mettre à mort, tout de même. 
Elle hocha lentement la tête en pinçant les lèvres, hésitante.
— Qu’espères-tu trouver auprès de lui ? À t’entendre… Il n’était pas une bonne figure paternelle. 

— Je ne suis pas certain d’être meilleur que lui, au bout du compte. Je ne sais pas ce que j’espère trouver… Des réponses ? Lui et moi n’avons jamais pu discuter. Il trouvait toujours quantité de raisons de s’esquiver. Mais à présent, il n’aura pas le choix. Je crois que… Je veux comprendre. Comprendre pourquoi il ne m’a jamais… aimé.


Sa voix mourut dans sa gorge et il esquissa un sourire pour tenter de se rassurer, qui aboutit seulement en une grimace tendue. Elle le dévisagea un court instant en lisant ses traits, percevant ses émotions. La divinatrice referma sa main sur la gemme et ferma les yeux pour les ouvrir sous leur forme livide, le sigil apposé par Mélicendre se métamorphosant lentement sous les particules de magie qui naviguaient au creux de ses paumes avant de s'évanouir, englouti par l'enchantement. Juliana cligna des paupières, ses yeux avaient reprit la couleur de l'ambre au soleil, elle lui rendit la pierre dans un sourire tendre.


— Reprend-le. À présent il saura aussi te protéger, mais prend garde Aesril, les mots, les mots ont un pouvoir fourbe que la mémoire se plaît à manipuler. Les rêves préviennent, annoncent, guident et protègent, ce genre de vision là est totalement différente. Tu devras te protéger toi-même de ce que tu entendras, mais je comprends ta démarche. Tu as besoin de réponses pour avancer, c'est un tournant important… Je serais là a ton retour pour libérer ton esprit si tu en ressens le besoin. 


Cette fois, sa main se posa sur son épaule, pressant ses doigts, et elle hocha respectueusement la tête dans un geste presque rituel. Reprenant la gemme, laissant courir ses doigts le long de la pierre encore vibrante de la magie de Juliana, Aesril fronça légèrement les sourcils.


— Quel genre de protection as-tu mis ?
— Puisqu'il s'agira plus d'une vision que d'un rêve, à la base, j'ai modifié la nature de l'enchantement. Il s'agira d'un songe et il ne pourra rien arriver à ton corps physique, c'est ce que je pouvais faire de mieux, il m’est impossible de te préserver de ce qu'il pourrait être dit, expliqua-t-elle avec douceur. Tu dois l'utiliser dans un endroit paisible et te couvrir, comme si tu te préparais à dormir. 


Ce fut à son tour de poser une main sur celle de Juliana, estimant qu’il était important de faire un geste pour lui montrer combien il était reconnaissant.


— J’en ai connu d’autres. De bien pires. Tout ira bien, ne t’en fais pas. Mais j’apprécie ce que tu fais. Si je peux m’épargner quelques tourments supplémentaires, ce n’est tout de même pas de refus… Comment dit-on merci, dans la langue des Anciens ?
— Grateis, fit-elle dans un large sourire chaleureux. Je te souhaite de trouver tes réponses Aesril. 
— Grateis Juliana, répéta-t-il, diligemment.


Il observa encore un moment la rivière qui semblait l'appeler et l'envie de gagner les eaux plus profondes pour y nager lui sembla soudain plus impérieuse, maintenant qu'il s’était délesté du poids de ses secrets. Ces derniers temps, il avait amené des personnes à se confier à lui pour en tirer parti, mais il n’avait jamais songé que se soulager de ces paroles aurait pu lui procurer tant de quiétude. Malgré tout, il jeta un coup d'œil nerveux à Juliana. Une part de lui se sentait toujours mal-à-l’aise de s’exposer de la sorte. Replaçant la gemme dans sa poche, il s’éclaircit la gorge.


— Je ne vais pas t’importuner plus longtemps. Tout le monde a droit à un instant de paix. Je vais personnellement profiter de quelques minutes de quiétude ; ces moments se font rares, surtout depuis que le petit oiseau me vole autour. Si on te demande, tu ne m’as pas vu.


Elle le gratifia d’un rire léger et se pencha en avant pour lui murmurer.

— … Tu peux y aller, je dirai que je ne t’ai aperçu qu’un bref instant et que tu t’en es allé… Sans que je sache où… ce qui ne sera pas un mensonge. 



Pour seule réponse, il se contenta de lui adresser un sourire complice, se relevant lentement puis inclinant légèrement le buste dans un geste leste, menant sans plus attendre ses pas longer le ruisseau pour laisser ses tracas sur le rivage, le temps d’une soirée.


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