L'Ordre des Lys et du Serpent
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Chapitre 6 : Dibella Empty Chapitre 6 : Dibella

Sam 16 Sep - 22:48
Chapitre 6 : Dibella 2c791910

Dibella

Par chance, le petit incendie qu’avait provoqué le cadenas ardent encore empli de magie du feu fut vite contenu, même si l’objet avait traversé un étage pour finir dans la chambre de Gervaise où il avait continué sa combustion sur le sol avant de refroidir tout naturellement tandis que la magie s’échappait du métal ardent. Elia fut consignée dans sa chambre jusqu’au lendemain. La domestique avait fait grand bruit de combien la situation avait été dangereuse et éprouvante pour elle et avait fondu en larmes devant le traumatisme causé par cet événement durant lequel elle avouait sans fard qu’elle avait bien cru mourir. Il apparut à Geor que punir sa fille en conséquence était une juste rétribution pour calmer les nerfs de son employée et pour lui avoir ouvertement désobéi. Qui plus est, cela lui permettait de réfléchir au calme aux nombreuses interrogations de sa fille concernant ses découvertes dans le grenier et de l’importance de révéler à Elia toute la vérité, ou du moins, ce qu’il savait. 


Assis au bord du lit conjugal, il caressait doucement les draps sur la place éternellement vide à côté de la sienne et son cœur se serra. Cela faisait des mois qu’elle les avait quittés à présent, mais le souvenir de sa femme était toujours prégnant dans son esprit. Son départ avait été aussi brutal que soudain et le fait de n’avoir pu être présent à ses funérailles le rendait plus difficile à croire encore. 


— Oh Yvara… Ma chère… Toi, tu saurais que faire avec Elia. Tu as toujours su comment faire…


Aujourd’hui, sa fille lui semblait plus impétueuse que jamais et son besoin de réponses lui était aussi alarmant que l’imprévisibilité de ses pouvoirs. Et s’il était incapable de lui venir en aide ? Il avait fait une promesse à feu son épouse et il lui apparaissait comme une trahison à sa mémoire de la briser, alors que c’était le peu qu’il lui restait d’elle. Il soupira longuement, posant ses mains en prière, comme il avait toujours fait dans les moments où il sentait qu’une situation le dépassait.


— Dieux… Aidez-moi… 


La lueur du matin venait doucement baigner la chambre et caresser ses mains. C’est alors qu’il eut une idée. Il passa aussitôt ses habits et sella son cheval le plus rapide qu’il mena jusqu’à la chapelle du village. Il y avait un ami de confiance, frère Timerius, c’était son nom, un impérial affilié à la chapelle de Zenithar, qu’il avait croisé sur la route d’un pèlerinage. Geor avait toute confiance en la sagesse de Timerius qui avait guidé bien des brebis égarées et avait toujours été d’excellent conseil. Aussi lui exposa-t-il la situation, avec autant de détails que la parole qu’il avait offerte à son épouse lui permettait et l’homme pieux l’écouta avec attention, compatissant à son sort, mais lui rappelant combien les enfants étaient une bénédiction qu’il convenait de chérir et de protéger. Il lui confia alors le récit d’une jeune fille turbulente qu’il avait envoyé chez une consœur prêtresse de Dibella, à Cœur-Enclume et qui était revenue plus apaisée que jamais. “Les jeunes filles ont besoin de présence féminine.”, lui avait expliqué frère Timerius. “Sœur Selena est très douée pour aider les novices à canaliser leur magie, qui plus est. Et cela te permettra de la garder à l’écart le temps que tu règles ces question qui te taraudent, surtout si tu penses que cela pourrait l’impacter. Elle pourra poursuivre un enseignement de dame décent et continuer son apprentissage des arts.” Geor trouva en ces réponses éclairées une solution toute trouvée. Après leur dispute, sa fille l’avait menacé de s’enfuir et il n’avait plus la moindre idée de comment la raisonner. Il en vint à se dire qu’un petit voyage tempèrerait peut-être ses désirs d’aventure et que cette fameuse “Sœur Séléna” parviendrait mieux que lui à répondre à ses questions. 


Aussi revint-il auprès de sa fille un peu plus rassuré, car désormais, il avait un plan. Lorsqu’il frappa à la porte de sa chambre, il n’en demeurait pas moins fébrile. Sa voix répondit de l’autre côté.


— Entrez. Ce n’est pas comme si j’avais le choix de toute façon.


Assise au bord de son lit, la jeune femme l’attendait, les bras croisés. Elle ne semblait nullement avoir décoléré.


— Vas-tu me garder enfermée ici encore longtemps, ou as-tu prévu des temps de promenade, attachée à une laisse ?
— Elia, ne sois pas impertinente, je te prie, la reprit son père, sans amertume.


Elle se releva aussitôt, faisant les cents pas dans la pièce.


— Ne sois pas impertinente ? Ne sois pas trop aventureuse, Elia, tu pourrais te blesser ! Ne pose pas trop de questions, Elia, tu es trop sotte pour comprendre ! Une dame doit savoir où est sa place, Elia ! Qu’ai-je le droit de faire, au juste ?!
— Je crois t’avoir autorisé bien des choses, jeune fille ! Quand ai-je déjà exigé quelque chose de toi ?
— Hier même ! Tout le temps !
— Et quand as-tu fait ce que je t’ai demandé ?


Elle ouvrit la bouche pour rétorquer, mais les mots moururent sur ses lèvres. Elle avait toujours désobéi à son père ou trouvé un moyen de le faire changer d’avis, peu importe combien cela comptait pour lui.


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— Je ne veux pas que ma fille devienne égoïste au point de ne faire cas que de ses propres ambitions. Tu es bien plus que cela, Elia. Ta mère l’avait compris…
— Mais pourquoi ne parle-t-on jamais de Mère ?! Et de mes pouvoirs ?, reprit-elle, trop ravie d’avoir retrouvé un terrain de bataille familier.
— Parce que je tiens à toi, Elia.
— Je regrette, Père, mais ce n’est pas une réponse acceptable… Tu… Tu as accepté de faire venir ce précepteur uniquement pour me faire oublier ce que pouvait cacher Mère… Quel genre de père fait cela ?
— Un père qui aime sa fille.


Elle fronça les sourcils en le dévisageant durement, cherchant que répondre, avant de relâcher les bras le long de son corps, la magie frémissant de plus en plus fort au bout de ses doigts qu’elle agita discrètement dans l’air dans l’espoir d’en apaiser la sensation, un geste qui n’échappa cependant pas à son père.


— Tes pouvoirs continuent d’être instables, n’est-ce pas ?
— Je peux les contrôler. Je sais que je peux les contrôler…


Il s’approcha lentement de sa fille, comme s’il craignait de l’effrayer, tendant le bras pour finalement presser une main contre son épaule.


— Elia… J’ai beaucoup réfléchi, tu sais et je… Je pense qu’un petit temps loin de la maison pourrait te faire du bien. Il y a cette prêtresse, au temple de Dibella… Tout le monde dit qu’elle est formidable. Et elle saura t’aider avec ta magie… T’offrir une présence féminine.


La jeune femme se redressa vivement en arrière.


— Quoi ? Tu veux m’éloigner d’ici ? Faire de moi une prêtresse ? Dans un temple ?
— Ce ne serait que temporaire. Cela nous fera du bien à tous les deux…
— Et cela vous permettra de vous assurer que je n’apprenne jamais ce que Mère et toi avez toujours voulu me cacher ? – Elle fit non de la tête. – Hm-hm. Hors de question. Je ne pars pas. Pas tant que je n’aurai pas mes réponses.
— Elia, pour une fois, rien qu’une fois, accepteras-tu de m’écouter ?!, s’agaça son père, haussant la voix.


Apeurée de voir son père soudain s’énerver, elle se figea, sans le lâcher du regard, avant de souffler à mi-voix, les yeux embrumés de larmes, des mots de défi que son manque d’assurance venait démentir.


— … Pour écouter quelqu’un, il faut déjà lui faire confiance.


Geor pinça les lèvres en se redressant la tête en arrière, secouant la tête de droite à gauche.


— Alors, c’est décidé. Je vais contacter sœur Séléna. Si nous ne pouvons plus nous parler, peut-être parviendras-tu à trouver tes marques ailleurs.
— … Bien, lâcha-t-elle en s’efforçant de contenir les larmes dans sa gorge.
— Bien, conclut son père en faisant volte-face.


Il allait refermer la porte derrière lui quand il s’arrêta subitement.


— Tu devrais faire confiance à ceux qui t’aiment, Elia. À vouloir tout contrôler, tu finiras forcément par être déçue.


La jeune femme ne répondit rien. Elle se contenta de regarder la porte se refermer derrière son père avant de se diriger rageusement vers une grande malle et d’y précipiter des affaires pour plusieurs semaines à l’intérieur, énumérant la liste des choses dont elle aurait besoin. Elle ne savait même pas où se trouvait ce fichu temple de Dibella, mais à la vérité, elle s’en moquait. Elle se disait que rien ne pouvait être pire que de rester en compagnie d’un menteur qui ne la considérait pas suffisamment pour lui révéler la vérité. Du moins, se consolait-elle ainsi. 


Son père vint la quérir cinq jours plus tard pour la mener au port d’Haltevoie où leur navire en direction de Cœur-Enclume les attendait, Gervaise et elle. La domestique ne la lâchait d’ailleurs pas d’une semelle, Geor l’ayant désignée comme chaperon jusqu’à leur arrivée. Celle-ci se comportait à l’image du chien de garde le plus hargneux qui existât, la rabattant sur la route tel un agneau égaré chaque fois qu’elle déviait un tant soi peu du chemin prévu. Son seul répit, elle le trouva sur les flots, à bord de la Voltigeuse. Consciente que la jeune femme ne pourrait s’échapper au beau milieu de l’océan, la domestique avait quelque peu relâché sa bride et Elia pouvait vagabonder librement sur le pont, observant avec admiration le travail des matelots dans les haubans et laissant ses pensées divaguer en regardant le vent gonfler les voiles et les vagues lécher la coque. Elle avait plaisir à questionner le second du capitaine, lui demandant s’ils avaient déjà vu de véritables monstres marins ou assisté à des batailles navales. C’était là une parfaite distraction pour ne pas trop songer à son père et à leur étrange au revoir.
Déterminée à ne rien afficher de sa tristesse, Elia l’avait simplement salué, tout en lui souhaitant un bon voyage de retour jusqu’à chez eux, ce à quoi Geor avait répondu par des formalités d’usage similaires, un échange qui ne ressemblait en rien à ceux auxquels ils avaient été habitués.


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Elles posèrent le pied à Cœur-Enclume sous une chaleur harassante. Elia pouvait sentir la transpiration perler sous son corset et le soleil frapper durement sa tête, se demandant comment faisaient les femmes d’ici pour survivre à un tel climat. Elle porta la main au-dessus de ses yeux pour se protéger et distinguer les contours de la ville dont les murs d’enceinte bordaient le port. Sans qu’elle puisse expliquer pourquoi, elle avait du regret à quitter le navire et son équipage. La cohésion entre ses membres avait quelque chose de grisant et la mer exerçait sur elle une attraction magnétique et puissante, surtout depuis que la magie parcourait son corps. Les éléments semblaient l’appeler, mais, étonnamment, en ces lieux étrangers, ses pouvoirs semblaient s’apaiser. Lorsque la houle était plus forte, elle se précipitait sur le pont pour voir les vagues s’écraser sur la coque, en dépit des recommandations de Gervaise qui ne pouvait de toute façon pas faire grand-chose, tant le mal de mer l’empêchait de quitter le lit. La domestique passait alors un long moment à brosser avec humeur la chevelure d’Elia et à refaire son chignon dont les mèches de cheveux s’échappaient sauvagement, avides de liberté, mais la jeune femme n’en avait cure. Rien n’était plus réjouissant que de sentir le monde en ébullition.


Elle comprit bien vite, cependant, comment les femmes de la Côte d’Or s’accommodaient de la chaleur, quand, déambulant dans les rues pavées de la cité, elle découvrait avec surprise que chacune avait abandonné l’idée même du port d’un corset, laissant l’air circuler plus librement à travers de large robes blanches brochées d’une fibule à l’épaule et légèrement cintrées d’une ceinture de cuir, laissant les formes des dames vivre avec moins de rigidité que les tenues qu’elle était habituée à voir à Haltevoie. Elle dévisageait les passants avec une forme de curiosité, dont elle n’aurait su dire si elle était suscitée par l’inconvenance ou par l’envie. Si enthousiasmée à l’idée de ces découvertes et de ces nouveautés et peu impatiente de s’enfermer dans un temple empli de prêtresses ennuyeuses, elle flânait dans les rues marchandes, s’arrêtait aux étals pour sentir l’olivier et la lavande, goûtait les fromages de brebis et les fruits juteux et écoutait les accents atypiques et chantants des impériaux, lui donnant le sentiment d’avoir fait un long voyage. Elle se plaisait à sentir le regard des jeunes hommes qui l’observaient, aussi intriguée qu’elle ne l’était par l’exotisme de son allure et elle tempérait son pas pour mieux savourer l’attention qu’elle suscitait, ce qui n’en agaça que d'avantage Gervaise qui l’enjoignit de se hâter.


Elle ne put cependant que faire une halte devant l’immense statue représentant une magnifique sirène à la longue chevelure. 


— Le symbole de Cœur-Enclume… murmura-t-elle, comme si elle avait découvert une relique du passé. 
— Nous sommes surtout en plein soleil…, bougonna Gervaise.


Elle avait lu tant de descriptions de lointaines destinations qu’elle se sentait exploratrice de se trouver devant un monument des cités d’ailleurs. Elle était si absorbée qu’elle ne remarqua pas qu’on l’observait, dans son dos, sur le parvis d’une grande chapelle offrant une ombre bienvenue aux passants.


— Venez Mademoiselle, le plan dit que la chapelle de Dibella est juste derrière nous.


Elia se dirigea à regret vers la direction indiquée par Gervaise quand une femme vêtue d’une longue tunique blanche s’avança vers elle avec la grâce et la fierté d’un paon. Repoussant derrière elle une épaisse tresse noire ornée de fleurs et tintant de bijoux dans un ravissant cliquetis, elle exécuta un élégant mouvement du poignet devant son visage, dépliant ses doigts à la manière de pétales d’une fleur et inclina légèrement le front en guise de salutations. 


— Vous devez être Dame Elia Bellamont, lui annonça-t-elle aussitôt, dans un charmant accent Colovien.
— Comment avez-vous deviné ?, demanda la jeune femme, interloquée et fascinée par l’allure de la créature qu’elle avait en face d’elle.
— Je vous ai observée… répondit simplement la femme. Je suis sœur Séléna. C’est moi ici qui accueille et forme chaque nouvelle disciple.


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La sirène de Cœur-Enclume s’en trouva complètement éclipsée par cette beauté à la peau dorée par le soleil que sa robe pourtant si simple et sans artifice venait rehausser. Ses yeux fardés de khôl noir semblaient comme un miroir sombre et imprenable du monde qu’elle observait avec distinction et il semblait à Elia que cette femme avait le pouvoir de conquérir tout ce que son regard pouvait toucher, de l’homme le plus modeste aux plus grandes citadelles. La jeune femme ne désirait désormais plus qu’une chose : percer le mystère de sa beauté. Aussi la suivit-elle docilement lorsqu’elle le lui demanda, abandonnant Gervaise avec soulagement.


Les larges portes de bois à double battant s’ouvrirent sur leur passage, sœur Séléna agissant avec le plus grand naturel qui soit, s’avançant à l’intérieur de la chapelle et posant ses pas sur l’épais tapis écarlate qui longeait l’ensemble de la nef. Au chœur de l’église, une statue de Dibella dont les pieds étaient bordés d’une myriade de lys blancs surplombait avec majesté l’ensemble de la bâtisse où il régnait une fraîcheur salutaire. Elia étouffa un éternuement, tant les puissantes odeurs de myrrhe et d’encens lui piquaient le nez. Elles traversèrent deux rangées de danseurs et de danseuses aux corps et aux mouvements plus graciles que ceux que l’on pouvait observer dans les bals les plus huppés et ils saluèrent leur arrivée, accompagnés par des musiciens, au fond de la salle, dont chaque note se réverbérait avec beauté contre les murs froids du temple.
Elia détaillait ce spectacle avec autant de stupeur que d’émerveillement.


— Est-ce tout le temps comme cela ?
— Ils aiment saluer chaque nouvel arrivant dignement.
— … Devrai-je faire tout cela ?, demanda-t-elle, quelque peu inquiète de s’imaginer dans un tel accoutrement, distinguant le galbe d’une cuisse svelte sous la fente d’une des robes des danseuses.


Sœur Séléna adressa un rapide regard en coin à la jeune femme avant de poursuivre sa route.


— Nous n’en sommes pas là pour le moment… Suis-moi.


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Elle la mena à travers un transept jusqu’à un bureau à l’écart, baigné dans une lumière feutrée par une superposition de voilages couleur d’ambre. Elia allait s’asseoir sur le fauteuil en face du bureau, quand sœur Séléna se retourna vivement pour s’arrêter à quelques centimètres de son visage, ses yeux noirs détaillant chaque parcelle de peau de la jeune femme qui, figée, la dévisageait, les yeux écarquillés. Sans un mot, la prêtresse passa alors une main à l’arrière du crâne d’Elia pour aller chercher la pince qui retenait son chignon complexe. Ses cheveux retombèrent en cascade sur ses épaules et sœur Séléna passa derrière elle pour les dénouer de ses doigts. Elle revint devant elle pour contempler son œuvre.


— Voilà qui est mieux. Ici, tu n’es plus seulement une dame, Elia. Tu es une prêtresse. Une femme. – Elle passa un index sous son menton pour l’inviter à le redresser, doucement. – Sois fière de ce que tu es. Garde ta chevelure détachée, fais-la vivre. Ils ne veulent pas rester dans ces chignons étriqués de toute façon, n’est-ce pas ?
— … Oui, je suppose, répondit-elle prudemment. 


Sœur Séléna exécuta d’élégants mouvements félins de ses longues jambes pour passer derrière son bureau et s’y installer, posant ses coudes sur les accoudoirs et croisant ses jambes l’une sur l’autre. Intimidée, Elia l’imita, prenant place en face d’elle.


— La plupart des gens associent vulgairement Dibella au sexe. 


Elia manqua de s’étrangler en l’entendant dire ce mot si librement devant elle, là où son père rougissait toujours d’imaginer une quelconque idylle entre elle et un jeune homme.


— Sache qu’en dépit de ce que certains arriérés qui rentrent parfois ici en quête d’une gâterie pourraient penser, nous ne sommes pas des prostituées. Nous sommes des défenseuses de la beauté, des ambassadrices de l’art, des muses de l’érotisme et chaque prêtresse doit être la preuve vivante de la parole de Dibella.


Muette, Elia jeta un regard en direction de la porte par laquelle elle venait d’entrer, se demandant ce qu’elle pouvait bien faire là, en compagnie de cette femme, personnification même de tout ce qu’elle venait de citer. Malgré tout, ce que disait sœur Séléna lui semblait comme un défi à relever.


— Et… Que devrais-je faire ?, demanda timidement Elia qui n’avait pas souvenir d’avoir jamais été aussi impressionnée.
— Tu vas commencer par apprendre. Tu as peur ?
— J’ai peur de vous décevoir, répondit aussitôt la jeune femme, avec honnêteté. Ma culture est bien éloignée de la vôtre et je crains de ne pas savoir faire toutes ces choses…
— Si tu es là, c’est parce que tu ne sais pas. Que t’a donc appris ta mère ? L’on croit souvent que les hommes sont des conquérants…


Elle se leva de son bureau, faisant de grands gestes, ses larges bracelets dorés cliquetants en tous sens.


— Ils sont forts ! Puissants ! Ils se battent sur le front ! Assouvissent des nations ! Mais toi, tu es plus forte. Et tu sais pourquoi ?
—  … Pourquoi ?
— Parce que tu es une conquérante. Les femmes sont des conquérantes.
— Des conquérantes ?, répéta Elia, trop fascinée pour se montrer éloquente.
— Oui. Et c’est ce que je vais t’apprendre. Mais avant de conquérir, tu dois être une femme libre. Il va falloir que tu te débarrasses de cette armure, aussi…
— Mon corset ?, questionna-t-elle tout en suivant le geste du doigt de Séléna.
— Oui. Il est une entrave à tes mouvements. Tes mains sont gracieuses, fines, délicates. Le prolongement de tes bras. Il serait dommage que ceux-ci soient bloqués par une aussi vilaine chose. Comme tes cheveux, le reste de ton corps a besoin de vivre. Sinon ton aura sera à tout jamais bloquée. Ton vénérable géniteur m’a fait savoir que tu avais des troubles avec ta magie ?
— Oui… Mes pouvoirs sont instables, admit Elia en baissant les yeux, honteuse. Je ne sais pas les maîtriser. Je… L’espace d’un instant, j’ai eu l’impression d’y arriver.


Sœur Séléna bascula en arrière sur son siège, détaillant Elia avec intensité avant de lâcher :


— Tes pouvoirs ne sont pas instables, Elia. Tu ne sais seulement pas t’en servir.
— Comment puis-je apprendre ?
— En te mettant au service de quelque chose de plus grand.


La prêtresse se leva pour se diriger vers une grande armoire remplie de vêtements soigneusement pliés avant de tendre une robe et une tunique ample à Elia.


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— Ça, c’est pour circuler dans le temple la journée. Et ça, c’est pour la nuit. Mina va te conduire aux bains. Tu dois être exténuée après ce long voyage.
— … Mina ?


La porte s’ouvrit pour laisser apparaître une jeune femme de l’âge d’Elia, aux airs innocents.


— Mina va t’aider à te retrouver dans le temple et te montrer tout ce que tu as à savoir pour aujourd’hui.
— À votre service, Mademoiselle, salua poliment la nouvelle venue.


Elia s’inclina délicatement devant sœur Séléna en gage de remerciements avant de demander, la question lui brûlant les lèvres :


— Quand pourrai-je en apprendre plus sur mes pouvoirs ?
— Très bientôt. Mais imprègne-toi d’abord de la parole de notre déesse. Tu verras, les réponses viendront bien assez tôt.


Les jours qui suivirent, Elia apprit bientôt que la compréhension de la parole de Dibella passait d’abord par un nettoyage approfondi du temple, passant le balai sur chaque pierre, dépoussiérant chaque stèle, irriguant le bassin des bénédictions, suivant le rythme très différent et très marqué de ce monde très codifié et écoutant les prières qui n’avaient cependant rien des interminables et ennuyeuses liturgies habituellement données dans les autres temples. Chaque pas était similaire à une danse et pratiqué avec une élégance maîtrisée.
Elia découvrit qu'elle était loin d'être la seule nouvelle venue et que sœur Séléna avait pris sous son aile cinq petites protégées auxquelles elle dispensait son enseignement, dont la dénommée Mina faisait partie. Ainsi, les jeunes femmes se retrouvaient chaque jour, deux fois par jour pour recevoir les leçons éclairées de sœur Séléna, leçons auxquelles Mina, qui avait semblé à Elia comme une camarade inoffensive, mettait un point d'honneur à lui montrer sa supériorité dans chaque domaine d'étude, tout en lui lançant des regards satisfaits chaque fois que sœur Séléna la félicitait, ce qui avait le don d’exaspérer Elia qui s'évertuait cependant à ne rien en montrer. Mina lui servait alors des paroles empreintes d'une fausse gentillesse, disant de sa voix fluette et douce qu'elle ferait mieux la prochaine fois et qu'elle se débrouillait déjà très bien pour une débutante. Cela n’exacerba que d'avantage le désir ardent de la jeune femme de montrer à quel point une “débutante” pouvait tout aussi bien réussir qu’elle à intégrer les préceptes de la déesse, même si elle sentait à nouveau bouillonner en elle le feu incontrôlable de la magie.


Les enseignements de sœur Séléna pouvaient se répartir en plusieurs catégories. Elle apprit aux jeunes femmes le don de la grâce.


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— Chaque mouvement que vous exécutez doit être savamment étudié, sans que ceux qui vous regardent n’en sachent rien. Le langage du corps, c’est la première chose qui va parler de vous. Votre posture dévoilera vos intentions. Le mystère attise la curiosité et la curiosité mène au désir. Brouillez les pistes. Soyez suaves, mais n’en montrez pas trop. Mettez de l’intention dans ce que vous faites. Ne laissez rien au hasard, mais ne soyez pas rigides. C’est aussi ce que nous rappelle Dibella. “Vivez l’instant”, nous dit la déesse. En vivant l’instant vous aurez conscience des mouvements que vous faites. En tant que prêtresses de Dibella, nous nous assurons de mettre de la beauté dans le quotidien. La beauté de vos gestes donnera à votre interlocuteur la sensation d’être honoré. Entretiendra le mystère. Et vous permettra de toujours mener la danse… Elia ! Verse-moi du thé, je te prie, avait-elle demandé subitement en désignant la théière.


La jeune femme se releva prestement de sa chaise pour s’exécuter avant d’être aussitôt interrompue par sœur Séléna qui l’invita à se rasseoir.


— Tu as le temps, Elia. Relève-toi. Doucement. Séduis-moi.


Aussi, s’évertua-t-elle les jours suivants à dispenser ses mouvements avec sagesse, tantôt trop mesurés, tantôt trop rigides, tantôt trop pressés et chaque fois, sœur Séléna la reprenait.


— Sois à l’écoute de ton corps, Elia, lui expliquait-elle, alors. Il te dit quoi faire. Suis ton intuition. Elle est forte. Tu n’es pas de celles qui doivent trop réfléchir. Mais tu es impatiente. Impulsive. Laisse cette force parler autrement.


Il y avait bien sûr les leçons des Arts où chacune pouvait développer son talent à l’exécution d’une pratique artistique. Elle se tourna vers le luth et la lyre, qui comme par hasard, furent aussi les médiums choisis par Mina. Elia était si déterminée à ne pas se laisser dépasser qu’elle s’usa les doigts sur les cordes au point de se brûler la peau, ce qui lui valut une sévère réprimande de la part de sœur Séléna qui lui rappela qu’il convenait avant tout de préserver son corps et qu’une telle dévotion pouvait aussi se révéler être à double-tranchant. Selon elle, les mains calleuses n’avaient rien de séduisant et Elia dut passer les deux jours qui suivirent les mains enveloppées dans des linges imbibés d’un onguent à base d’hamamélis.


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Elle fut surprise d’également recevoir un enseignement sur l’hygiène et le soin de la peau et des cheveux, leçons qui se tenaient dans les bains. Lorsque Elia arriva là-bas, dans les vapeurs étouffantes de menthe et de patchouli, encore vêtue de sa robe légère, elle baissa les yeux en voyant les autres femmes entièrement nues, au bord des bassins. Celles-ci ne semblaient pourtant nullement embarrassées, à la place de cela, elles se mirent à rire en voyant Elia dans un tel accoutrement. Seule sœur Séléna ne se prêta pas à la moquerie.


— Déshabille-toi et rejoins-nous, Elia. Tu ne peux pas rester vêtue dans les bains.


La jeune femme se mordit la lèvre en voyant le regard amusé et les messes basses des autres femmes qui ne la quittaient pas du regard, épiant ses gestes et c’est le ventre noué qu’elle défit la fibule qui retenait sa robe et qu’elle la laissa tomber au sol avant de la ramasser pour la déposer sur une patère, recouvrant sa poitrine d’un bras en s’avançant vers les bassins sous les gloussements et les pépiements. Avant même qu’Elia les ait rejointes, sœur Séléna se leva avec dignité, présentant sa paume aux femmes autour d’elle, la mine sévère et les bavardages des adolescentes cessèrent aussitôt. Elle s’avança alors vers Elia et posa sa main sur son bras pour l’inviter à le déplier, sans la forcer. Elle lui redressa alors le menton en la toisant de ses yeux noirs.


— Pourquoi fais-tu cela ?
— … Cela ?
— Tu te caches. Pourquoi ?
— … Ces sales petites pestes se moquent. Et j’ai des petits seins.
— Les dieux t’ont faite parfaite telle que tu es. Dibella te regarde et elle, elle ne te juge pas. Il n’y a pas de petits seins. Il n’y a que les fruits mûrs des dieux. Peu importe la taille, la saveur est exquise, si tu en prends soin. Aime ce corps comme Dibella t’aime, Elia. Ton jugement ne doit pas se laisser distraire par les caquètement. Jamais. Tu m’entends ? Sois fière d’offrir à la vue du monde ces cadeaux que l’on t’a fait. Chaque créature des dieux est unique. À présent, je veux t’entendre dire que tu es belle.
— Je… Je suis belle ?, bredouilla Elia, désarçonnée.
— Avec plus de conviction ! Redresse les épaules ! Sois fière !


Elia se plongea dans les yeux noirs de Séléna. Quelque part, elle avait l’impression que sa force devenait la sienne. Elle expira, redressa le buste et dit d’une voix claire, faisant naviguer son regard sur chaque visage en contrebas.


— Je suis belle.
— Oui ! Voilà. Tu es prête. Va rejoindre les autres, à présent, petit lys.


Là-bas, on lui apprit comment toujours avoir une peau aussi douce que de la soie, comment faire de ses cheveux une étoffe parfumée dont chaque mouvement de la tête révèlerait les arômes subtils. On lui enseigna les bienfaits du massage et de la façon de le pratiquer sur soi, chaque partie du corps étant passée au crible d’une attention et d’un soin appuyé et, peu à peu, elle sentit que ses nerfs s’apaisaient, en même temps que l’énergie qui la traversait. Elle apprit les poudres, les crèmes, toniques et onguents pour toujours avoir un teint éclatant, sœur Séléna mettant en lumière la beauté de chaque corps et de chaque visage. Elle apprit à Elia où résidaient ses forces et comment ses yeux couleur de tempête et ses taches de rousseur pouvaient apporter du charme à sa prestance. La jeune femme commençait à comprendre la nature du pouvoir dont parlait sœur Séléna et, à mesure qu’elle poursuivait ses leçons, elle gagnait en confiance, libérait son corps et sa posture des craintes qui l’accablaient et l’empêchaient de pleinement exprimer son charme. “Les jeunes femmes sont éduquées avec trop de pudibonderie.”, disait sœur Séléna pour appuyer le fait que cela contribuait à faire d’elles des femmes maniérées, pompeuses et peu assurées, à l’esprit étriqué. Elia ne put qu’approuver, témoin des bienfaits de l’enseignement sans filtres de l’école de Dibella et elle se découvrit même une passion nouvelle pour le maquillage, découvrant combien il était plaisant de voir ses yeux luire d’un éclat singulier lorsqu’ils étaient encadrés de l’ombre charbonneuse du khôl. 


Chapitre 6 : Dibella C471bf10


— Père désapprouverait certainement…, se disait-elle dans un sourire, chaque fois qu’elle croisait son reflet.


Mais ici, à la Côte d’Or et sous la tutelle de sœur Séléna, elle n’en avait cure et avait la sensation de s’épanouir comme une fleur, en dépit de certaines leçons pour lesquelles elle était loin d'être préparée. Un jour, une des sœurs la mena à un cours de danse individuel que la prêtresse avait qualifié de danse du plaisir. Si Elia avait rougi lorsqu'elle avait dû se déshabiller dans les bains, ses yeux étaient devenus ronds lorsque la prêtresse avait exécuté de langoureux mouvements du bassin et l'avait invitée à en faire de même, lui expliquant ce que de tels gestes stimulaient lors d'un rapport amoureux.


— L'amour est une danse, lui avait expliqué sœur Séléna. Lorsque l'on se rencontre, on exécute mille courbettes, on se cherche, on se taquine et lorsque les deux amants gagnent l'intimité des draps, là encore, ils exécutent un ballet. La prêtresse de Dibella doit savoir montrer la voie vers les plaisirs de la chair.


La jeune femme avait d'abord rechigné à se mettre ainsi en scène dans de telles postures, prétextant qu'elle n'avait jamais connu d'homme, avant de s'y essayer, dans le secret de sa chambre et de, finalement, écouter les préceptes de la danse du plaisir, réalisant que, là aussi, c'était une autre façon de se libérer des carcans et de mieux s'accepter. Jamais encore quiconque lui avait parlé de la sexualité de cette façon et encore moins qu'elle avait le droit de décider de comment cela pouvait se passer et d'y prendre du plaisir.


Elle comprit que Séléna n’avait rien d’une magicienne ou d’une érudite, mais grâce à son savoir, elle la réconciliait peu à peu avec ce qu’elle était au plus profond d’elle-même et, certains soirs, Elia passait quelques heures dans le bureau de Séléna où elle l’invitait à des séances méditatives privées. Là, la prêtresse la faisait s’asseoir en tailleur, l’invitant à se recentrer sur ses sensations, sa respiration, ce qui l’entourait, les sons, les odeurs. Bien que sceptique au début, la jeune femme s’émerveillait des résultats de ce que cela produisait sur elle.


— Je… Je peux la sentir de manière plus tangible. La magie. Elle me traverse, c’est… Comme un torrent. J’ai l’impression de pouvoir la maîtriser… avait confié Elia en sortant doucement d’une méditation.


Sœur Séléna avait souri, balançant délicatement la tête avec satisfaction.


— Tu comprends enfin que pour maîtriser, il faut lâcher prise. Ta magie, c’est un étalon sauvage. Si tu tends sa bride trop fermement, il rue et se cabre. Toi aussi, tu es comme cela. Pour que la fleur que tu es s’épanouisse, il faut lui laisser de l’espace. Et simplement lui donner les clefs pour avancer.
— Vous m’avez plus aidée que n’importe qui auparavant, Sœur Séléna.
— Mes connaissances à ce sujet sont limitées, Elia. Tout ce que je peux faire, c’est t’aider à connaître ton corps et ton âme, pour que tu révèles la beauté que Dibella t’a donné. Le reste, tu devras l’apprendre par toi-même, petit lys.
— Comment ? Qui pourrait m'apprendre ?, questionna Elia qui s’imaginait déjà rentrer chez elle avec appréhension, se heurtant aux murs étroits de son monde de dame propre sur elle.


Sœur Séléna marqua une pause en détaillant la jeune femme, une lueur vive dans le regard.


— Toi seule détient la réponse. C'est ton aventure. C'est à toi de le découvrir et de t'en donner les moyens.


Elia demeura muette un moment, scrutant le visage de la prêtresse alors que les mots résonnaient dans son esprit dans un écho mystique. Un doux carillon sonna à travers les murs du temple, annonçant l'office de minuit et sœur Séléna en profita pour briser la torpeur de l'instant.


— Je t'ai retenue bien longtemps, il semblerait… Je te laisse aller te coucher.


Comme tirée hors d'un rêve, Elia papillonna des paupières et finit par hocher la tête en se relevant.


— Bien sûr, merci pour tout, ma sœur. Que Sa grâce embellisse votre nuit.
— La tienne aussi… Et… Elia ?
— Oui ?
— Un bon sommeil, c'est important. Même si nos livres sur les arcanes sont intéressants, ne reste pas trop longtemps à la bibliothèque, d'accord ? 


Elia haussa un sourcil, déconcertée. Chaque nuit, elle se rendait à la bibliothèque puis aux jardins où elle mettait en pratique les sortilèges basiques qu'elle trouvait dans les livres traitant de la magie des éléments. Elle songea avec admiration que rien n'échappait à l'œil aiguisé de cette femme puis esquissa un sourire en coin espiègle, rehaussant ses pommettes mouchetées de taches de rousseur.

— … Entendu. Je ne me coucherai pas trop tard, lança-t-elle avant de refermer derrière elle la porte du bureau de sœur Séléna et de prendre la direction de la bibliothèque, à pas feutrés.


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