L'Ordre des Lys et du Serpent
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Général Patafouin
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Chapitre V - S'élever Empty Chapitre V - S'élever

Sam 20 Jan - 21:03
En voyant l’aide-soignant arriver, Lorilmo se redressa quelque peu sur son oreiller, autant que son état le lui permettait cependant : il se sentait si faible. Mais il se trouvait désormais entre les mains des meilleurs guérisseurs qui pouvaient exister, les grands Sapiarques du Collège. Tout le monde au Couchant et en Auridia savait combien ils offraient les meilleurs soins que l’on pouvait espérer recevoir et, si nul n’avait réussi à le guérir jusqu’à lors, Lorilmo en était persuadé : ici, ils trouveraient une solution. L’aide-soignant, un jeune elfe aux gestes encore quelque peu maladroits, le rassura.


— Inutile de faire des efforts inconsidérés, Ceruval. Je viens vous aider. Le guérisseur dit qu’il est prêt à commencer les soins.
— Ah oui ? C’est vraiment formidable ! Quel honneur ils me font de traiter mon cas si rapidement. J’imagine pourtant que je ne dois pas être son seul patient, s’enthousiasma Lorilmo d’une voix faible, la respiration sifflante, ce qui lui provoqua une violente quinte de toux, crachant du sang sur le revers de la manche de sa chemise de nuit.
— Allons, allons, Ceruval, vous devriez vous abstenir de trop parler. Il semblerait que ce soit mauvais pour vous. Vous pourrez bientôt vous exprimer librement, rassurez-vous, le tempéra gentiment l’aide-soignant en lui tendant un mouchoir et en l’aidant à prendre place sur un brancard lévitatif. 


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Lorilmo hocha la tête dans un sourire faible et il ferma les yeux, juste pour se reposer un moment. Il se sentait si fatigué. Combattre ce mal l’exténuait. Parfois, il se demandait si on ne lui avait pas tout simplement lancé un mauvais sort. Après tout, il n’avait pas toujours mené une vie exemplaire, la cour de Justice l’avait déjà incarcéré pour plusieurs vols, il lui paraissait plausible que les victimes de ses menus larcins commis durant sa jeunesse aient cherché à se venger. À moins qu’il ne s’agisse du sort implacable des dieux. Qu’est-ce qui aurait pu justifier un mal aussi incurable, aussi vif et violent et surtout, un mal que nul ne semblait être capable de reconnaître ? Il s’efforça de chasser cette idée. Il n’aurait jamais eu l’opportunité d’atterrir en ces lieux si les dieux voulaient vraiment le punir. 
Alors qu’ils avançaient dans le dédale de couloirs depuis plusieurs minutes, Lorilmo fut soudain agité par une pensée fugace. Ne faisait-il pas nuit noire lorsque l’aide-soignant était venu le trouver ? N’était-il pas étrange que le guérisseur choisisse de le soigner au beau milieu de la nuit ? Son cas devait être véritablement urgent pour qu’il décide d’agir aussi rapidement. Il s’efforça de se calmer, de se convaincre qu’il était entre de bonnes mains. 
Il arriva rapidement dans une salle au blanc éclatant qu’il reconnut aussitôt pour y être déjà passé lors de son arrivée ici, puis l’aide-soignant le mena un peu plus loin, dans ce qui ressemblait à une antichambre faiblement éclairée entourée de rideaux de la même teinte. Il entendit des personnes discutant non loin et il crut reconnaître la voix du guérisseur chargé de ses soins, mais sans être capable de l’attester. Toutefois, le blanc impeccable de l’uniforme et la voix calme et mesurée qui lui parla confirma ses doutes. Il se sentit aussitôt un peu plus en confiance.

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— Bonsoir, Lorilmo. Je suis Aesril, votre guérisseur. Vous vous souvenez de moi ?
Lorilmo hocha la tête dans un sourire. Le Sapiarque posa ses deux doigts contre sa nuque tout en répondant.
— Bien. Je suis désolé de vous tirer de votre sommeil, mais il est impératif que je m’occupe de vous cette nuit.
— Vous… Allez me guérir ?, tenta de demander Lorilmo, d’une voix étranglée par ses poumons souffrants.
— Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir. Je vous emmène en salle de soin, à présent.

Il approuva du chef. 
Voilà. Cet homme allait s’occuper de lui. L’assurance posée de son intonation lui procurait une profonde sérénité. Ce guérisseur savait ce qu’il faisait. Tout ici était si rassurant : Les procédés millimétrés, la propreté des lieux, le soin qu’on lui portait depuis son arrivée, cette odeur d’alcool, de citron et de lavande, ce silence… Rien de mal ne pouvait lui arriver en ces lieux. 
L’aide-soignant tira le brancard jusqu’à une salle éclairée de la lueur très vive d’une flamme magique se réverbérant sur un miroir pour illuminer une table de marbre blanc sur laquelle il fut déposé. Le guérisseur chuchota quelques mots à l’aide-soignant, lui tendant une minuscule fiole et celui-ci exécuta une rapide révérence avant de quitter les lieux aussitôt. Lorilmo tourna la tête de l’autre côté pour tenter d’apercevoir ce qui l’entourait, ainsi que pour échapper à la lumière aveuglante au-dessus de sa tête. Sur un plateau s’alignaient quantité de fioles de toutes tailles, des instruments métalliques et brillants de propreté qu’il n’avait encore jamais vus, ainsi que plusieurs gemmes et un livre de sort ouvert, dont il ne parvenait pas à déchiffrer les écritures. Mais, lorsque sa vision se stabilisa un peu plus et que l’auréole blanche imprimée sur sa rétine se dissipa, son attention fut captivée par une forme plus imposante, au fond de la salle, plongée dans l’obscurité. Il semblait qu’il s’agissait là d’une table similaire à celle sur laquelle il était allongé, à l’exception du fait qu’un drap recouvrait quelque chose qui s’y trouvait posé… La silhouette du guérisseur vint se profiler entre lui et la table et sa voix résonna, basse et rassurante.

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— Je vais vous endormir, à présent. N’ayez crainte, vous ne sentirez rien. Ce sera comme plonger dans un rêve.

Il hocha de nouveau. Le guérisseur avait une voix rassurante, de celles que l'on pouvait écouter longuement et qui vous guiderait jusqu'à un sommeil profond. Les quelques gouttes de la solution qu'il lui administra avaient un goût piquant. Mais rapidement, une sensation de chaleur diffuse s'empara de lui et le cliquetis des outils sur la table lui donna l'impression d'entendre un carillon, quelque part, au loin…


Les portes de la salle de soin s’ouvrirent pour laisser apparaître la silhouette dégingandée du Sapiarque Pantelis, ajustant son uniforme tout en s’avançant à grands pas vers la table d'opération.


— Vous avez déjà commencé les réjouissances sans moi ?
— Vous avez quatre minutes de retard par rapport au programme, répondit Aesril, penché au-dessus du torse du patient, un petit outil métallique à la main.
— Je vois que les années auront renforcé votre désobligeance !, plaisanta-t-il en saisissant une des gemmes désinfectantes. Où en êtes-vous ?
— Comme vous pouvez le voir, j'ai déjà commencé l'incision du thorax.
— Fort bien. Vous avez donné la potion d’amnésie à l'autre benêt ?
— Oui, il ne se doute de rien.
— Bien sûr qu'il ne se doute de rien. Cela fait quatorze fois et il me regarde encore avec son air d’ahuri. Les potions ne doivent pas l'aider, cela dit… Bien, voyons voir…


Pantelis attrapa un des instruments posés non loin et le plaça à proximité du patient. 


— Il est stable. Alors ? Vos observations ?
— Vous voyez ce point, là ? J’ai l’impression qu’il s’agit de la lésion qui lui cause tant de problèmes…, expliqua Aesril en désignant une tâche violacée et enflée sur l’un des poumons du patient.
— Dieux, c’est bien proche du cœur…
— C’est pour cela, Maître. Pour cela qu’aucun des sorts utilisés jusqu’à maintenant ne fonctionnaient pas. Ce n’était pas une infection classique.  Je sais maintenant que je la vois qu’il nous faut deux sortilèges combinés, un de résorption et un autre…
— De purification, oui. Et d’en faire un usage simultané. Bien vu. Ça pourrait marcher.
— Ça va fonctionner. 
— Ça vaut le coup d’essayer. C’est soit cela, soit il meurt. Autant que ce soit sous nos essais. Vous êtes prêt ? Ou voulez-vous procéder à d’autres vérifications ?
— Je suis prêt. J’initierai la résorption de niveau cinq, avec deux décadres. 
— Entendu. Je me cale sur vos mesures pour le sort de purification.
— Dans trois, deux, un… Allons-y.


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Posant leurs mains au-dessus de l’anomalie, ils déployèrent leur magie respective et, suivant leur volonté, bientôt, l’ampleur de la tâche se réduisit encore un peu plus, puis encore un peu… Jusqu’à finalement disparaître complètement. 


— Ça suffit, annonça Pantelis. On dirait bien que ça a fonctionné. Les signes vitaux ?


Aesril posa ses doigts contre la nuque du patient, cherchant le pouls. Il intensifia la pression.


— Merde…
— Aesril, les signes vitaux, je vous prie.
— Il est mort.
— Quoi ?
— L’opération devait être trop lourde à supporter pour son état de fatigue.
— … Merde, comme vous dites. C’était prévisible. Bien, ne perdons pas de temps, alors, passons à l’étape suivante.
— Entendu.


Aesril et Pantelis abandonnèrent aussitôt leurs instruments et laissèrent le patient sur la table, le Maître guérisseur partant soulever le drap posé sur la table adjacente, dévoilant un corps en bon état de conservation.


— Vous vous souvenez du rituel que nous avons défini ensemble ? Vous vous sentez capable de le pratiquer ou voulez-vous que je m’en charge ?
— Non, non, je vais le faire. Il faut bien que je m’entraîne aussi.
— Bien… À vous l’honneur, dans ce cas. Si vous sentez que ça ne va pas, ne forcez pas. Je ne veux pas d’un autre cadavre sur les bras ce soir.


Aesril hocha la tête et redressa le buste, expulsant l’air dans une expiration rauque, amenant à lui une énergie nouvelle, calibrant sa magie sur… autre chose. Il n’avait jamais pu poser de mots sur la sensation que cette pratique lui inspirait. Lorsqu’il prit une nouvelle inspiration, ce fut comme si un poids venait de s’ajouter à ses poumons. Plaçant une main au-dessus du corps du patient et dirigeant l’autre vers celui du cadavre non loin, il ferma les yeux pour mieux ressentir cette énergie si particulière. La première fois qu’il avait fait cela, c’était infiniment ténu, il ne parvenait pas à le ressentir. Mais, à force d’entraînement, il avait fini par la percevoir : cette force lourde, subtile, froide et presque visqueuse dans sa façon de se déplacer et plus il s’y connectait, plus il la sentait le happer. Au début, en ressentant cela, son premier réflexe avait été de s’en extraire aussitôt, de mettre fin à sa transe, tout en se secouant les mains, dans un geste désespéré de se défaire de cette chose, comme s’il se fut agi d’une effroyable sangsue lui parcourant tout le corps. Pires encore étaient les images et les sons qui s’imposaient à son esprit : orbites creuses, asticots grignotant la chair, la peau se pressant contre les os, le grondement de la terre et les chuchotements de mille voix. Tout cela était effroyable. Mais plus il persévérait et plus cela devenait supportable et, en un sens, enivrant, une fois qu’il se laissait plonger dans cette sensation de chute libre qu’il pouvait ressentir. Lorsqu’il laissait cette magie le posséder, le monde des vivants semblait bien terne. Il avait alors fini par comprendre : cette magie nécessitait de se donner corps et âme à sa pratique. On ne pouvait s’y plonger qu’à moitié pour en tirer quelque chose de probant.


Alors, il laissa la sensation l’envahir, ressentit l’énergie dégagée par le corps non loin et celle du patient, qui, bien qu’il ait perdu la vie, était encore vive, vibrante, lumineuse, bien loin de ce qu’Aesril ressentait alors. Pantelis, qui savait aussi bien que lui combien cet exercice était exigeant, l’encouragea, la mine grave.


— Surtout, ne retenez pas cette énergie trop longtemps en vous, compris ? Vous exécutez le rituel et vous l’expulsez !


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La voix du Sapiarque paraissait lointaine à Aesril. Il appela l’énergie du cadavre à venir à lui. Elle grouilla sous ses doigts, se rassemblant lentement jusqu’à lui, et lorsqu’il fut certain qu’il avait canalisé assez de magie, il répéta le rituel qu’il s’était tant de fois entraîné à faire avant de l’exécuter en situation réelle. Il fit faire un tour à ses bras, sans jamais les croiser, sentant la conversion noire opérer dans son propre corps et il renvoya l’énergie vers le patient sans plus attendre. L’idée que cette magie puisse souiller son corps s’il attendait trop longtemps le répugnait. Avec soulagement, il la sentit le quitter et suivre sa volonté, mais ce furent ses propres jambes qui s’écroulèrent sous l’effort que son corps avait dû faire pour supporter cela. Pantelis ne parut pas surpris, mais il lui adressa tout de même un regard inquiet.


— Est-ce que tout va bien ?
— … Ça va. Un peu mieux que la dernière fois. Le patient ?


Le Maître guérisseur s’approcha du corps pour l’inspecter. Le sort d’Aesril avait entièrement refermé ses plaies et effacé la moindre de ses cicatrices. L’homme semblait désormais endormi, comme plongé dans un rêve lointain. Pantelis palpa sa nuque, avant de retirer sa main, rageusement.


— Encore un échec ! Bon sang, ça commence à m’échauffer le sang ! Nous devons trouver ce qui ne fonctionne pas dans nos calculs. Est-ce le corps ? Est-ce l’âme ? Est-ce une question d’énergie ? De sortilège ? Il y a encore bien trop d’incertitudes à mon goût, je vous le dis !
— J’ai suivi le protocole exact, se justifia Aesril tout en se relevant.
— Oui, oui, je sais, je vous ai vu faire. Non, ce que je ne comprends pas, c’est comment, alors que nous faisons exactement ce que nous avons défini, comment cela ne fonctionne-t-il pas ?
— La magie des âmes est infiniment complexe. Des subtilités nous échappent sûrement encore.
— Oh, excusez-moi, mais notre magie est déjà complexe, je ne crois pas que cela soit au-delà de nos capacités…
— Croyez-vous vraiment que son cas était désespéré ?
— Oh, non, ne commencez pas à remettre encore les choses en question, bien sûr qu’il l’était. Il serait mort, si ce n’était aujourd’hui, ç’aurait été demain. Nous avions trop peu de temps et sa maladie était à un stade trop avancé pour que nous puissions faire quoi que ce soit.
— Il n’empêche que ce genre d'opérations affaiblit grandement nos patients. Si nous trouvions un moyen de les traiter différemment…
— Si, si… Avec vous, il y a toujours une possibilité, sauf que, dans l'immédiat, pardonnez-moi, mais vous n'allez pas me pondre une solution dans l'heure !


Le mage releva un regard circonspect vers son maître, ravalant son amertume.


— Non. En effet. Les bonnes solutions à des sujets aussi complexes demandent du temps.


Pantelis resta un moment silencieux, pinçant les lèvres avec regret. Il se racla la gorge en se redressant.


— Je me suis laissé emporter, je crois.  Bon sang… Allons dormir. Nous nettoierons ce fiasco demain.


Il se rinça les mains dans un baquet d'eau et quitta la salle en quelques grandes enjambées, ruminant son échec. S'il y avait bien une chose que ni lui ni Aesril ne tolérait, c'était bien cela. Mais Aesril ne pouvait se résoudre à partir ainsi. À dormir sur une défaite. Pas plus qu'à laisser leur précieuse salle de soins dans cet état. Le rituel nécromantique l'avait exténué, mais il sentait qu'il était de son devoir de terminer ce qu'il avait commencé.
Il se massa les tempes, plongea un linge dans le baquet d'eau fraîche et entreprit de nettoyer le corps du patient, avec diligence.


— Lorilmo. Bon voyage à vous.


Il demeura ainsi quelques minutes, à simplement l'observer, pour finalement nettoyer ses outils. Il se remémorait la première fois que Pantelis l'avait confronté à la mort. Aujourd'hui, il cherchait tant bien que mal à se reconnecter à ce qu'il avait ressenti ce jour-là : l'empathie, la curiosité de savoir comment était la personne de son vivant… la crainte aussi. Sans succès. Mais une forme de déontologie l’animait. La volonté de faire les choses correctement. Prendre soin du corps avec respect en faisait partie. Parce qu'alors qu'il se plongeait un peu plus au cœur des arcanes de la mort, il sentait que celles-ci pouvaient à tout moment lui faire oublier définitivement son humanité. Chaque fois qu'il y touchait, il sentait qu'il se rapprochait un peu plus de cette chose qu'il avait toujours refoulée au plus profond de lui-même. La “Créature”, l'avait-il nommée. Elle lui semblait aussi abjecte que fascinante. Cette force phénoménale qu'il sentait au fond de lui-même. Ce désir de se frotter au danger, aussi. Sa soif de pouvoir, de savoir, de tout. Posséder, conquérir, maîtriser. L'envie de voir la mort de près. L'excitation suscitée par la peur. Cela, il ne l'avait ressenti qu'une fois dans sa vie, de manière aussi puissante : lorsque Larnatillë l'avait provoqué après la mort de Caelnia. Ce jour-là, il avait senti que la créature s'était éveillée. Et depuis qu'il s'entraînait à la nécromancie, elle revenait, à chaque fois.
Puis, il y avait cette autre part de lui-même. La prudence, le calme mesuré, le souci de bien faire, l’envie de comprendre, et parfois même, une douceur d'âme qui le rendait encore mélancolique. Mais il gardait cette émotion sous quelques mots griffonnés à la hâte sur une page de journal qu'il s’empressait de détruire, honteux de ce qu'il considérait là comme un laisser-aller, une faiblesse. 


Il jeta un regard circulaire à la salle. Les fenêtres hautes laissaient seulement apparaître le ciel, étendue si profonde que ses yeux peinaient à percevoir les étoiles. Il était bien lointain le temps où la magie du ciel était la seule à le fasciner. Mais celle-ci ne lui avait jamais offert la puissance de l’énergie des morts. Malgré tout, il ne pouvait s’empêcher de tourner son regard vers les étoiles, de temps à autre. Était-il déjà allé trop loin pour sauver son âme ? Il y avait fort à parier que oui. Fébrilement, il se dirigea vers un large tiroir et y saisit une gemme bleue, enveloppée dans un tissu de lin, avant de revenir auprès du patient décédé. Il serra la gemme dans sa main. Le contact glacé de celle-ci le transcendait. Hésitant quelques secondes, il leva alors une main au-dessus du corps de Lorilmo, se mordant la lèvre inférieure. Cela semblait si facile. Il la sentait l’appeler. Il avait ce pouvoir. Ce pouvoir de vie et de mort, c’était là, à sa portée. Les mots, il les avait lus encore et encore. Ils naquirent sur ses lèvres sans même qu’il y prenne garde.

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— Av Feyn nir veylen ni ch’ait vor tiem…, prononça-t-il dans une litanie grave. Lève-toi, et sers-moi !, ordonna-t-il finalement.


L’âme contenue dans la gemme la quitta pour se ruer droit vers le corps du patient, prenant possession de chaque part de son être, ses muscles se raidissant, ses paupières s’ouvrant doucement. Cette âme capturée était piégée dans un corps qui n’était pas le sien. Pourtant, ce corps vivait. Sain. Le cadavre se redressa, avant de poser ses pieds nus sur le sol froid. Cette chose pouvait-elle sentir quoi que ce soit ? Aesril s’en approcha, parcouru d’un frisson. La Créature se délectait de cette sensation. Il se saisit d’un scalpel et s’approcha du corps réincarné, la mâchoire tendue.


— Avance, exigea-t-il et le cadavre s’exécuta, jusqu’à laisser sa chair se faire entailler par le scalpel que tenait le mage, sans même que le mort-vivant n’exprime la moindre douleur.


Sans qu’il comprenne pourquoi, il sentit une larme dévaler le long de sa joue. Cela semblait incongru en un tel instant. Et pourtant, tant d’émotions se mélangeaient en lui. En cet instant, le monde semblait pouvoir basculer à ses pieds. La soif de pouvoir le dévorait. Et en même temps… Cela le terrifiait.


— Nul ne devrait posséder un tel pouvoir… souffla-t-il pour tenter de s’en convaincre. Tu es libre.


Le corps de Lorilmo retomba aussitôt au sol, inanimé, alors qu’Aesril, lui, se sentait mu d’une force sans pareille. Il expulsa l’air, croisant son reflet dans l’un des miroirs de la salle. Ses iris verts avaient disparu pour laisser place à un abysse profond. Il demeura un instant là, à observer le reflet, avant de complètement laisser partir la magie sombre hors de lui. Il le savait, cela n’était pas un dixième de ce dont il était capable.

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Il souffla à nouveau, secouant ses mains alors qu’il sentait ses sensations revenir à lui. Savoir qu’il pouvait faire cela lui suffisait pour le moment.  L’épuisement le gagnait toujours plus, chaque fois qu’il chassait l’énergie nécrotique loin de lui. Alors il ouvrit les fenêtres pour laisser l’air de la mer emplir la pièce et chasser cette épouvantable odeur aseptisée et il tira une chaise, sortant un petit carnet de cuir brun usé hors d’une de ses poches intérieures.


“ J’ai retenté l’expérience. Le corps du patient m’obéissait au doigt et à l'œil. Et la sensation était grisante, comme toujours. Mais je ne veux pas m’y attarder pour le moment. Je mettrai au point un nouveau procédé pour les futures expériences avec Maître Pantelis. Mais si je sais que parvenir à ranimer un cadavre sans l’usage d’une gemme d’âme sera un atout précieux, j’aimerais m’attarder sur autre chose. Je ne veux pas abandonner la magie céleste, car je crois qu’elle peut être la clef. Le pouvoir des gemmes chargées d’énergie stellaire peut être tout aussi puissant que celui de l’énergie nécrotique, mais sous un autre aspect. Si je parvenais à les utiliser pour former un “spectre” en temps réel du corps de mes patients, je n’aurais plus jamais besoin de les opérer pour savoir comment les soigner. Bien sûr, travailler là-dessus exigera d’autres corps… Et des recherches plus approfondies. Je m’y pencherai sans plus tarder. Je sais que je tiens quelque chose. Cela pourrait être une avancée merveilleuse si je trouvais la solution à ce problème. Bien sûr, il reste une grande part d’ombre sur les afflictions des âmes. Mais si je parvenais déjà à voir les maux de notre enveloppe charnelle, ce serait une première dans l’univers de la guérison. Je pourrais guérir des patients comme Lorilmo en un instant. Ou comme Caelnia. Les morts ne reviendront peut-être pas, mais je peux agir sur les vivants.”


Ajoutant un point final à ses mots, il clôt son carnet et soupira. Cette fois, il était véritablement temps pour lui de gagner l’étreinte du sommeil.


Les jours et les semaines qui suivirent, Pantelis et lui déployèrent des efforts prodigieux pour améliorer les résultats de leurs expérimentations, en dehors de l'exercice de leur fonction durant la journée. Cependant, leurs besoins en sujets d'expérience se faisant de plus en plus conséquent – bien plus que ce que la quantité de patients qu'ils dénichaient le leur permettait – ils furent contraints de recourir à des méthodes plus obscures encore, allant chercher des sujets “volontaires” dans les prisons des villes avoisinantes. On leur expliquait qu'ils seraient libres dès lors que l'expérience serait terminée, une façon plus rapide de s'affranchir de leur peine. Bien-sûr, aucun d'eux ne revenait vivant. Un pot-de-vin conclu avec le bon Justiciar, quelques potions d'amnésie habilement administrées et le tour était joué. Mais leurs progrès s'avérèrent stupéfiants, tant dans la compréhension du fonctionnement du corps que dans leur usage de la nécromancie en tant que magie de restauration. L'énergie des morts se révéla être une source fabuleuse de soin. Ce qui était inutile aux défunts servait aux vivants. Le commun des mortels y aurait vu un sacrilège. Alors Pantelis et Aesril gardaient leurs méthodes cachées. Que leur importait la façon d'y parvenir, tant que le résultat était là ? 
De son côté, Aesril poursuivait ses efforts dans ses recherches pour rendre visible les maux internes, comparant la puissance des gemmes à celle de l’énergie nécromantique et cette approche différente lui offrait des perspectives nouvelles, faisant rapidement avancer sa réflexion. 
Au terme de quelques mois de travail acharné, Aesril exposa sa thèse sous le regard attentif et néanmoins chargé d’orgueil de Maître Pantelis qui semblait défier fièrement les membres du conseil.


— Et c’est au regard de toutes ces observations que je sais aujourd’hui qu’il est possible de déceler ce qu’il se cache au plus profond de nous. En poussant ces recherches, il va sans dire que notre civilisation pourra non seulement prévenir des maladies les plus insidieuses en les détectant au stade le plus précoce, mais c’est par tous ces arguments que je vous ai exposés que je suis convaincu, qu’à terme, nous pourrons éradiquer les maladies les plus anciennes, hissant ainsi le domaine médical Altmeri au rang le plus prestigieux que notre histoire ait jamais connu.


Les membres du conseil demeurèrent muets un moment, échangeant des regards, puis, ce fut Maître Silario qui prit la parole.


— Je constate que les années passées au côté de votre maître n’auront pas tempéré votre fierté innée, Sapiarque Aesril.
— Modérez vos propos, Silas, lança Pantelis, l'œil mauvais.
— Cependant…, poursuivit le conseiller, non sans dissimuler le plaisir qu’il avait à faire sortir le Maître guérisseur de ses gonds. Cependant, il s’agit là d’un des travaux d’étude les plus intéressant qu’il m’ait été donné de découvrir ces dernières années et je suis convaincu que cela peut effectivement  se révéler être une avancée formidable pour le monde de la guérison et qu’il serait une bêtise de ne pas subventionner vos efforts, car ils serviront au plus grand nombre. Qui plus est, les retours que nous avons eus de votre Maître et de vos patients ont été admirables… 


Maître Silas baissa les yeux un moment, certainement pour se concentrer sur les délibérations télépathiques des autres membres du conseil et il releva finalement la tête dans un sourire sagace.


— C’est pourquoi, c’est sans mal que nous avons pris la décision de vous octroyer le titre de Maître Guérisseur. Tâchez de ne jamais oublier la responsabilité que cela incombe. Jurez-vous de toujours mettre votre savoir au service de la Couronne ?
— Je le jure, répondit Aesril, tâchant de dissimuler son émoi.
— Et jurez-vous de protéger ce savoir des mains des étrangers et de ne jamais l’utiliser à des fins néfastes ou dans le but de nuir à autrui ?
— Je le jure.
— Dans ce cas, félicitations, Maître Aesril. Puissiez-vous faire honneur à votre titre.


Aesril s’inclina profondément, l’écharpe bleue de son habit de cérémonie suivant son mouvement vers le sol de marbre poli, miroitant le vaste dôme vitré au-dessus de leurs têtes. Connaissant la procédure, il savait qu’il n’avait rien de plus à ajouter, si ce n’était d’accepter dans le silence le plus respectueux l’immense honneur qu’on lui accordait en ce jour. Il exécuta deux pas en arrière, sans tourner le dos aux conseillers, avant de se redresser et de faire volte-face pour quitter la salle du conseil. En dehors, le soleil de l’après-midi baignait doucement le grand hall désert. Personne ne l’attendait pour le féliciter. Mais en un sens, cela lui était égal. Ils étaient si rares ceux qui se voyaient accorder un tel titre. Et aujourd’hui, il avait accompli un rêve d’enfant : Il était devenu un savant, avait sa place parmi les Sapiarques. Alors pourquoi son esprit ne parvenait-il pas à s’en contenter ? 


— Tu es splendide dans cette tenue, résonna une voix, contre les murs.


Il reconnut la robe moirée d’ivoire et de bleu au fond de la salle et son cœur se serra. Il n’aurait su dire depuis combien de temps cette sensation ne l’avait point parcouru.

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— Mère…, souffla-t-il en faisant quelques grands pas pour couvrir la distance qui les séparait. Vous êtes venue.
— Tu ne croyais tout de même pas que j’allais manquer un jour pareil !


Arrivé devant elle, Loralia tendit ses bras vers lui, observant son fils, qui, figé, semblait indécis quant à la marche à suivre.


— Alors, ne m’étreins-tu donc pas ? Après tout ce temps ?
— Je… Si. Oui, bien sûr, fit Aesril en l’enlaçant.


Dans les bras de sa propre mère, il se sentait soudain si gauche, si vulnérable. Il avait passé tant de temps entouré de cadavres et d’ennemis que la chaleur humaine et l’amour inconditionnel qu’elle lui portait lui semblaient étrangers, anormaux. Il n’était plus certain de savoir comment s’y prendre. Et l’idée de se montrer dans une posture si vulnérable en un tel lieu le mettait mal-à-l’aise. Malgré tout, son odeur si familière réveilla son émoi. Elle était là. Elle était venue. Pour lui. Sa mère se recula doucement pour mieux l’observer caressant sa joue.


— Mon fils, Maître Guérisseur ! Tu honores toute notre famille en ce jour.
— Père n’a pas l’air d’être de cet avis.
— Tu sais, il est sur une affaire importante, en ce moment…, hésita sa mère, baissant les yeux.
— Je le sais oui. Ne parlons pas de lui.
— Tu as encore maigri… Manges-tu au moins à ta faim, ici ? As-tu un nouveau régime ?
— S’il vous plaît, ne commencez pas. 
— Il est normal que je me préoccupe de toi, tu es mon fils, Aesril.
— Vous ne serez pas toujours là pour prendre soin de moi, vous savez.
— Alors laisse-moi le faire encore un peu aujourd’hui. Cela fait si longtemps… Tous les parents rêveraient d’avoir un garçon si formidable. Tu sauves tant de gens chaque jour.


Aesril se figea pour observer l’éclat d’or que les yeux de sa mère avaient capturé en levant ce regard si fier sur lui. Aussi étrange que cela pouvait paraître, son amour était plus acéré pour lui qu’aucune lame. Surtout aujourd’hui, où il sentait que ces sentiments venus d’un autre univers que le sien étaient indignes de sa personne. Que n’avait-il un frère ou une sœur pour que sa mère leur offre cet amour qu’il ne considérait guère mériter ? À la vérité, il songea qu’il se serait mieux porté si nul n’avait tenu à lui. Ainsi, le regret ne serait jamais venu lui lacérer les entrailles.


— S’il vous plaît, Mère. Allons marcher dans les jardins. L’air de la mer me manque, demanda-t-il, dans une tentative de mettre un terme à la solennité de l’instant.




Chapitre V - S'élever 3f9c10c8ddab5b1ebffb561a0e1ad903

Souvent, Aesril repensait à ce moment. Peut-être parce qu’alors, il aurait aimé lui dire qui il était, qui il était vraiment. Pas seulement un Maître Guérisseur. Mais un nécromancien. Un tueur. Un assassin. Mais il avait tant craint que l’éclat dans les yeux de sa mère disparaisse à jamais. Que jamais plus elle n’ose lever son regard vers lui. Ou qu’il n’y trouve que le rejet. Il avait appris à vivre sans l’amour de son père, mais perdre celui de sa mère, même si celui-ci reposait sur un mensonge, lui était impensable. Se replongeant dans ce vieux souvenir, il se servit une coupe de vin, desserrant légèrement le foulard ceignant son cou, nerveux, lorsque l'on frappa à la porte de son bureau. 


— Entrez Dorilwën, annonça-t-il, sachant pertinemment qui se trouvait de l'autre côté.


La domestique ouvrit timidement la porte, faisant quelques pas dans la pièce.


— Êtes-vous prêt, Monsieur ?
— Oui… Oui, dans un instant. Ce foulard refuse de se nouer correctement.
— Je vais vous y aider, proposa-t-elle aussitôt, s'approchant de lui pour refaire le nœud d'une façon plus élégante. Là. Vous êtes parfait.
— Il faut croire que cela fait longtemps que je n'ai pas eu l'occasion de porter une tenue si distinguée.


Dorilwën l'observa un court instant, hésitante, avant de lâcher :


— C'est un grand jour pour vous, aujourd'hui. Comment vous sentez-vous ?
— Bien… Non, à la vérité, je préférerais autant ne pas avoir à faire cela. Pourquoi ai-je accepté, déjà ?
— Cet hôpital, c'est le projet de votre vie, Monsieur. Et ce soir, vous allez pouvoir montrer le fruit de votre travail à vos pairs. Il faut que vous vous y rendiez. Les gens veulent vous rencontrer. Et comment allez-vous convaincre vos donateurs potentiels, hmm ?


Dorilwën avait raison. Voilà plus de dix ans qu'il y travaillait depuis qu'il était devenu Maître Guérisseur. Et tout ce labeur portait enfin ses fruits.


— Bien. Dites à ma mère que je pars sans plus attendre.
— Vous ne voulez pas la saluer ? J'imagine combien elle attend avec impatience de vous dire à quel point elle est fière de vous.
— Croyez-moi : il vaut mieux pour tout le monde que ma présence ne la contraigne pas à prononcer des mots si courtois.


La domestique demeura muette, incapable de comprendre la réaction du mage. Comment aurait-elle pu, d'ailleurs ? Aesril seul savait qu'il avait fini par ôter malgré tout l'éclat de sa mère. Dans les quelques moments de lucidité qu'avait encore Loralia, il le lisait dans son regard : la peur, la déception. Et cela, il le savait, il ne pourrait plus jamais le changer. Il avait perdu cette occasion le jour où il avait échangé sa liberté contre la vie de son père. Il n'était plus question de retourner en arrière. Il lui fallait à présent avancer. Quel qu'en fut le prix.

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