L'Ordre des Lys et du Serpent
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Général Patafouin
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Acte I - Chapitre 2 - Le vol du papillon blanc Empty Acte I - Chapitre 2 - Le vol du papillon blanc

Sam 3 Sep - 18:13
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Durant deux jours d’affilée, Aesril regagnait la salle de l’observatoire avec un peu plus d’enthousiasme que d’ordinaire. Il s’était présenté plus tôt ces nouvelles fois, mais ne s’était installé que parmi les derniers, juste pour avoir l’occasion de s’asseoir de nouveau en face de Caelnia. La première fois qu’il revint dans cette salle, Aesril, observa une réaction de son organisme et de son comportement surprenante et inhabituelle. Quelque chose perturbait le calme et le détachement qu’il apportait à chaque chose qu’il entreprenait et l’avait sorti de la léthargie de ces jours ordinaires. Sans qu’il fut capable d’en justifier la raison exacte, il se sentit subitement plus enjoué que d’usage, la peau sous ses mains devenait plus moite et il portait bien plus d’attention à son attitude. Il constata aussi qu’il déployait de grands efforts pour montrer le moins d’intérêt possible à la jeune femme et chaque fois que son regard se perdait vers elle et qu’elle le surprenait, il ne s’en sentait que plus agité. Il en était rapidement venu à la conclusion que c’était elle la raison de son trouble, mais cette sensation, il n’aspirait pas à s’en départir. 
Ces derniers mois, où le travail toujours plus rébarbatif que lui confiait Maître Cinnarion l’assommait, où les quelques entrevues avec Larnatillë le plongeaient dans un état d’apathie toujours plus profond à force de chercher à se couper de ce qu’il ressentait et où il lui semblait que chaque Sapiarque le traitait comme s’il était moins que la poussière que foulaient leur pieds, Aesril se fascinait de trouver en son être quelque chose qui ressemblait plus à une véritable émotion et il lui semblait que la brève irruption de Caelnia dans son quotidien l’avait tiré du cycle sans fin dans lequel il avait fini par se plonger sans s’en rendre compte. Il avait déposé son regard sur ces dessins aussi souvent qu’il en avait eu la possibilité, juste pour retrouver cette sensation si plaisante et si légère qui provoquait en lui une réaction physiologique si rare ces derniers temps : un sourire. Il avait suffi d’une fois pour ranimer cette lueur qu’il pensait éteinte, la minuscule flamme contenant l’espièglerie, la naïveté et la curiosité qu’il avait reléguée au plus profond de lui-même au fil des années, jugeant qu’en de tels lieux, ces traits de caractère lui seraient bien inutiles et même dangereux, surtout en présence de personnes de la trempe de Larnatillë.
Cet événement aussi anodin que court lui avait donné la sensation de se réveiller d’un sommeil dans lequel il s’était lui-même plongé et il n’aurait souhaité pour rien au monde se rendormir à ce moment précis.


Durant leurs sessions d’observation des astres, Caelnia continuait de le scruter de temps à autre et depuis qu’elle avait compris qu’elle avait la possibilité de le faire entrer dans son jeu, elle semblait prendre un malin plaisir à le déconcentrer. Le premier jour, elle paraissait avoir noté l’attitude très détachée de l’elfe et combien il faisait des efforts pour paraître investi dans son travail. C’est donc tout naturellement qu’un nouveau billet voleta joyeusement jusqu’au bureau du mage, sur lequel il était écrit : “Es-tu véritablement en train de noter quelque chose ou est-ce que tu agites ta plume pour ne pas me voir ?” Il lui répondit par un demi-sourire, car il s’efforçait de se tempérer et lui renvoya un billet disant : “Difficile de ne pas te voir, tu es en face de moi. Vois-tu vraiment quelque chose de plus intéressant à faire ici ?” Elle pouffa de rire en lui écrivant : “J’imagine quantité de choses plus intéressantes ! Je te parie que je peux faire avancer la table du Sapiarque Detriel sans qu’il s’en rende compte… ”. Elle le toisa avec un regard où se mêlait la provocation et l’amusement, ce qui éveilla une flamme dans l’esprit d’Aesril qui s’empressa d’aligner les mots : “Je te parie que j’y arrive mieux que toi.”. Caelnia haussa les sourcils, ravie de sa réponse et, se mordant les lèvres sous la concentration, elle exécuta quelques gestes sous la table pour faire très lentement avancer le lourd bureau sur lequel œuvrait l’obséquieux Sapiarque. Aesril l’observait faire, époustouflé : sa précision était rare, le déplacement n’émit aucun bruit et le Sapiarque continuait d’écrire comme si de rien n’était. Il se prêta au jeu et s'essaya à l'exercice à son tour, déguisant le mouvement de son sort en un geste de sa plume, fixant les pieds de la table du regard, avec gravité, la forçant à avancer un peu plus, de quelques millimètres, subrepticement. Les pieds de la table émirent un léger grincement lorsqu’ils frottèrent contre le sol de pierre, mais Caelnia le dissimula en feignant une toux subite. Il leur suffit alors d’un seul échange de regard pour s’accorder à poursuivre leur défi et ils usèrent de leur magie jusqu’à tant que le Sapiarque, si investi dans son travail, se retrouvât courbé au-dessus du vide, s’étirant toujours un peu plus sur sa feuille, le nez collé à celle-ci. 


Quand soudain, la pointe de sa plume dégringola sur la page n’ayant plus de support, laissant un immense trait d’encre sur toute sa hauteur et provoquant un sursaut à l’érudit qui plongea son long nez droit sur le parchemin dont les mots et les formules à l’encre encore humide s’imprimèrent sur son visage. En voyant la scène se dérouler sous son regard et les événements s’enchaîner, Aesril écarquilla les yeux, mais ce fut pire encore quand son regard croisa celui de Caelnia dont le visage commençait à prendre une teinte cramoisie à force de se retenir de rire. Lui-même sentit ses yeux s’humidifier sous la raideur de ses muscles qui luttaient pour ne rien laisser paraître des spasmes qui agitaient frénétiquement ses épaules et sa cage thoracique et en jetant un nouveau coup d’œil au Sapiarque qui avait désormais des allures de manuel de sorts vivant et qui crachait des jurons marmonnant, cherchant un mouchoir pour masquer sa honte, Aesril se replongea sur son propre parchemin et fit mine de poursuivre sa notation, son expression tordue par son hilarité. Finalement, le Sapiarque quitta la pièce pour aller se débarbouiller et au bout de quelques minutes, lorsque leur fou-rire fut quelque peu calmé, Aesril sentit que quelque chose tirait légèrement sur sa chemise. Il jeta un regard à Caelnia qui, comme il s’y attendait, le fixait d’un air entendu. Elle baissa les yeux à ses pieds. Sans y réfléchir plus longtemps, il se pencha. Un nouveau billet l’attendait. Il lui lança un faux regard de désapprobation, un sourire au coin des lèvres et, comme une habitude, déplia le billet. Il s’agissait d’un autre dessin aux traits simplistes, le représentant, comme le premier. Sauf qu’à l’inverse du précédent, le personnage, les yeux clos, souriait. Alors, en voyant cette vision si innocente de sa personne, Aesril sourit à son tour, d’un sourire léger, rêveur, hochant doucement la tête en relevant les yeux vers elle, comme pour lui signifier : “tu as gagné”.


À la fin de chaque session, il prétextait devoir retourner au service de Cinnarion, ce qu’il faisait pour plus de crédibilité, principalement pour éviter de contrarier Caelnia si elle venait à lui proposer à nouveau de dîner avec ses amis. Il voulait tout d’abord passer du temps seul avec elle. Aesril n’avait jamais été à son aise dans les groupes larges où chacun parlait plus fort que lui et surtout, il savait que la meilleure façon d’avoir une véritable conversation et de voir un aspect plus authentique d’une personne était de se retrouver en cercle restreint, sans influence extérieure. De cette manière, il saurait s’il se sentait bien en sa présence ou s’il devait déployer de grands efforts pour que sa personnalité lui fut plaisante. C’était ainsi qu’il s’était structuré et avait organisé ses relations : en leur faisant passer des étapes. Cela lui procurait la sensation illusoire qu’il avait quelque maîtrise sur le chaos qu’il l’entourait. 


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Troisième séance de travail, autres échanges de billets et jeux de mots espiègles pour aider le temps à passer. En regagnant ses quartiers pour déposer ses affaires et en prendre d’autres, il avait commencé ce nouveau rituel, plaçant soigneusement les mots de Caelnia, aussi triviaux fussent-ils, dans un coffret à plumes d’écritures au fond duquel il avait déposé un petit rectangle de lin. Quand il revint à l’office de Maître Cinnarion ce soir-là, celui-ci le laissa prendre place, commencer à préparer le thé et mettre de l’ordre dans la pièce, quand le vieux Sapiarque s’étonna.


— Tu restes encore m’assister bien tard, ce soir. Tu sais que tu n’as aucune obligation ?
— J’en ai conscience, oui. Je suis ici parce que j’en ai envie.
— N’avais-tu pas des projets sur lesquels tu souhaitais travailler ?
— En effet, mais préfère attendre d’avoir une journée complète pour m’y consacrer. J’espère que ma présence ne vous importune pas ? s’enquit Aesril en classant une pile de parchemins dans un vieux grimoire.
— Loin de là. Il y a toujours beaucoup à faire, tu as d’excellentes capacités de rangement et d’organisation et si ta voix n’est pas fatiguée, il y a des lectures que j’aimerais que tu épargnes à mes yeux en les lisant à ma place.
— Avec grand plaisir.


Aesril s’exécuta et parcourut le tome des “Variations Arcaniques à Travers le Monde”, assis sur une chaise, près de l’âtre, en face de son maître, qui, sur son pesant fauteuil au velours râpé par le mouvement de son postérieur, ponctuait la lecture de son assistant par des remarques, commentaires, précisions et critiques, sur lesquelles Aesril prenait plaisir à échanger avec lui. De tous les Sapiarques, il lui semblait que Maître Cinnarion était le plus patient, le plus calme, le plus respectueux, mais aussi le plus instruit. Aesril était toujours impressionné par l’étendue de son savoir et il voyait cela comme un honneur d’apprendre à ses côtés. Mais ce soir-là, son esprit dériva bien vite vers la perspective de la journée qui l’attendait et vers Caelnia. La nervosité l’agita quelque peu et il buta sur les mots et les formulations si alambiquées qu’il en perdait le fil. Au bout de plusieurs échec, Cinnarion l’avisa d’aller quérir un peu de sommeil, justifiant ses difficultés en expliquant que les écrits du mage Artiosis étaient bien compliqués à suivre et il remercia son assistant pour sa diligence : si quelqu’un avait bien mérité ces deux jours de repos, c’était bien lui.


Toutefois, il peina à trouver le sommeil et, étendu sur son humble lit, Aesril écoutait, dérouté, le son rapide et régulier de son cœur battre contre sa poitrine un peu plus fort que d’ordinaire. “Je dois être fiévreux… ” songea-t-il pour se rassurer, quand bien même, il n’était tombé malade qu’une seule fois de toute sa vie.


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Lorsqu’il se rendit bien à l’heure, à l’endroit et à l’horaire précis que Caelnia lui avait indiqué sur un bout de parchemin, muni d’un carnet et de quelques fusains, Aesril crut qu’elle allait lui faire faux-bond, que tout ce petit jeu n’avait été là que pour la divertir. Elle lui avait donné rendez-vous dans les jardins, au pied du bâtiment est, il aurait donc normalement dû l’apercevoir si elle avait été là, à moins qu’elle ne se fut dissimulée derrière un des imposants massifs ou des buissons finement taillés. Au bout d’une bonne quinzaine de minutes à déambuler seul au milieu des plantes aromatiques, il décida alors de s’asseoir sur un des bancs de marbre placés le long du chemin de promenade, près d’une fontaine. Il s’agaça de ne pas parvenir à se départir de son sentiment de nervosité, alors il ferma les yeux, prenant une profonde inspiration et se concentra sur le bruit de l’eau pour tenter d’apaiser le flux de ses pensées qui imaginaient déjà mille scénarios possibles pouvant justifier l’absence de la jeune femme. 


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Quand soudain, des mains se posèrent sur son visage, au-dessus de ses yeux et Aesril eut un léger sursaut, suivi d’un sourire en devinant à qui elles appartenaient.


— Bouh ! Tu devines qui c’est ?


— Tu as bien failli me faire peur, Caelnia.


— Vraiment ? Tu sembles pourtant si imperturbable, j’espérais au moins te voler un cri. À croire que tu as des dons de divination !


Elle retira ses mains pour s’asseoir à côté de lui. Ayant délaissé l’uniforme des disciples du Collège des Sapiarques, elle portait une ample tunique de tissus vaporeux, si blanche que la lumière du soleil de cette fin de matinée venait s’y refléter et dont le vent venait soulever les pans des différentes couches du vêtement à la manière de grandes ailes délicates, lui donnant des airs de papillon. Aesril sourit en la voyant ainsi vêtue. 


— Eh bien, quelle originalité ! Tu n’as peur de rien, toi non plus.


— Tu n’aimes pas ? Tu trouves que j’en fais trop ? répondit la jeune femme quelque peu peinée.


— Non, pas du tout. Je trouve ça très joli. J’aime ce qui sort de l’ordinaire.


Le visage de Caelnia s’illumina, retrouvant toute sa bonne humeur.


— Merci ! Et toi, tu es toujours aussi propre sur toi.


— Merci.


Aesril baissa les yeux sur son carnet. Il sentait le regard de Caelnia qui le détaillait et il fut soudain gêné d’être ainsi observé. Il décida de redevenir maître de la situation, désignant les lieux d’un regard.


— Alors… Que voulais-tu dessiner ? Ou plutôt devrais-je dire : que voulais-tu “capturer” ?


— C’est une excellente question ! gloussa Caelnia. Je ne sais jamais vraiment, je décide cela au gré de mes envies. Quand je remarque qu’un moment me plaît particulièrement, par exemple, j’ai envie de capturer un détail de mon environnement qui me rappelle cette ambiance, tu vois ce que je veux dire ?


— Oui, parfaitement. C’est comme emporter un souvenir avec soi tout en le laissant à sa place. 


— Tout à fait !, s'épanouit-elle, de le voir si bien comprendre. Ainsi, il pourra changer et évoluer avec le temps, mais seuls toi et moi sauront en regardant le dessin ce qu’il représente.


— Un moment protégé du temps, conclut Aesril.


— Exact ! C’est joliment dit. Tu es un poète, ma parole !


— Alors, comment procède-t-on ?


Elle se releva vivement, faisant à nouveau virevolter les pans de sa tunique et tourna son visage ravi vers Aesril en annonçant :


— Commençons par marcher un peu ! Nous trouverons l’inspiration en chemin.


— Je te suis, concéda le mage en se levant à son tour.


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Ils déambulèrent dans le jardin qui, en cette fin d’été, portait encore les feuillages vert sombre de la saison, passant entre les arbres, dont quelques-uns, appelés “Siorruidh”, des Éternels, modifiés magiquement pour être toujours en fleurs. Les insectes venaient les butiner dans de joyeux bourdonnements, ponctués de temps à autre par le chant de passereaux ou par le cri d’oiseaux marins. En marchant aux côtés de Caelnia, Aesril pouvait sentir son parfum se mêler à celui de l’iode, des plantes et de la terre fraîchement retournée. Elle sentait la groseille et quelque chose qui s’apparentait avec la fraîcheur du matin et le thé vert. Elle n’avait rien de commun avec les jeunes filles que son père lui avait fait rencontrer ou avec Larnatillë et ses excès. Elle lui semblait naturelle, rayonnante de joie et en même temps originale, fantaisiste et pourtant si aimable. Comme si elle taillé sa force dans sa différence, l’affichant à chacun, là où lui, gardait son monde intérieur riche au creux de son être, de crainte de le partager aux autres. Il admirait cet aspect de sa personne et comprit que ses à-priori à son propos, il les avait placés là dans le seul but de ne pas se rendre compte qu’il existait plus d’une façon d’être différent. Il sourit doucement à cette pensée. Cela n’échappa pas à Caelnia.


— C’est agréable de prendre un peu de repos et de se changer les idées, n’est-ce pas ?


— En effet. J’ai l’impression que je ne m’étais pas vraiment détendu depuis un long moment.


— Je savais que ça te ferait du bien. J’avais remarqué que tu ne sortais pas vraiment ces derniers temps.


Il bascula subitement la tête vers elle, interloqué.


— Depuis combien de temps m’observes-tu au juste ?


— Je suis juste très douée pour remarquer les choses, ne prends pas la grosse tête ! pouffa-t-elle.


— C’est cela, comme si j’allais te croire. Mais je m’interroge… Qu’est-ce qui a poussé une jeune femme telle que toi à venir ici ?


— Qu’est-ce qui m’y a poussée ? Tout, bien sûr ! Comment est-ce que l’on pourrait vouloir autre chose que se trouver ici ? Mon père a étudié la cartographie derrière ces murs, tu sais. Il m’a vanté les mérites du Collège depuis que je suis toute petite et quand il m’emmenait voir cette île inaccessible, je ne voulais qu’une chose : en faire partie. Et… j’étais fascinée par le portail à l’entrée aussi !


— J’admets qu’il est impressionnant.


— N’est-ce pas ? Alors, j’ai travaillé dur et comme j’avais aussi envie d’explorer le monde, j’ai lancé mes recherches sur les déplacements magiques et comment les étoiles pouvaient nous servir de propulseur. À un moment, il m’est apparu évident que s’il y avait bien un lieu qui pourrait me permettre de trouver des réponses à mes questions et d’acquérir le savoir nécessaire pour faire aboutir mes recherches, c’était bien celui-là. Mon père était passionné par ce que je faisais, - et ma mère aussi d’ailleurs - alors, il m’a aidé à mettre ça en place, à passer les concours de sélection. Il était persuadé que je révolutionnerais les voyages stellaires ! Bon, mes projets ne sont pas encore clairement aboutis, mais j’avance bien. Un jour, tu verras, voyager entre les plans sera aussi facile que de passer une porte !


— C’est un beau projet, approuva Aesril d’un hochement de tête, un sourire doux au visage. Tu as de la chance d’avoir le soutien de tes parents.


— Mon père est littéralement mon héros ! Il a exploré des contrées entières, juste pour parfaire ses cartes. Il dit sans cesse que les voyages, c’est cela qui rend les gens intéressants et qui les fait évoluer. Je me dis que c’est grâce à lui que je n’ai pas l’esprit aussi étriqué que les gens d’ici.


— Il a très certainement raison. Moi aussi, j’aimerais voyager. Ça pourrait te paraître fou, mais quand j’étais enfant, je ne rêvais pas vraiment de devenir un mage. Enfin, si, mais je voulais aussi être un explorateur. Découvrir des terres nouvelles et des îles désertes, confia Aesril en baissant légèrement la voix, de peur que quelqu’un d’autre ne puisse découvrir cette part plus secrète de sa personne.


— L’un n’exclut pas forcément l’autre, tu sais, tu pourrais très bien y arriver. Cette pensée est tellement grisante ! Je suis sûre que si on unit nos forces, toi et moi, on pourrait certainement aller plus loin encore !


— Oui… Oui, ça ne fait aucun doute, souffla Aesril, songeur et touché qu’elle l’inclue dans un de ses projets.
— Et toi ? Tu ne m’as pas dit ce qui t’avait mené ici, ni même comment ça se fait que tu sois un des plus jeunes d’entre nous à avoir été admis. Tu sais que tout ça suscite un grand mystère autour de toi !


Le jeune mage se rembrunit quelque peu, baissant les yeux au sol.


— Oui… Tu sais, ce n’est vraiment pas grand-chose.


— Tu es beaucoup trop modeste ! lança-t-elle en lui adressant une petite tape amicale sur l’intérieur du bras. Aesril, tout le monde rêverait d’être à ta place ! Même la Sapiarque Larnatillë a remarqué ton talent, tu imagines ?! 


L’elfe grinça des dents à la mention de cette femme et son expression se ferma.


— Oui, rien ne lui échappe. Mais ce qui m’a toujours motivé à venir ici, au-delà de l’étude des astres et de comment emprisonner leur magie, c’est… 


Il lui lança un regard en coin, cherchant à savoir s’il pouvait lui confier quelque chose d’aussi intime aussi tôt dans leur relation. Elle releva les yeux vers lui à son tour, attendant la suite de sa phrase et quelque chose dans son regard le mit en confiance.


— En venant ici, je voulais être une personne plus libre, me détacher un peu de ma famille et de mon destin. Je voulais apprendre à être moi-même. Même si cela signifie échouer ou faire des erreurs. Je crois que je voulais… trouver ma voie.


La jeune femme le détailla un moment, avant de rabattre son regard devant elle, un sourire bienveillant étirant délicatement ses lèvres. 


— C’est assez rare quelqu’un qui parle comme ça. Surtout vu l’énergie que tu mets à te dépasser dans tout ce que tu fais et le sérieux que tu mets dans chaque chose. Je pensais que tu étais ici pour devenir puissant ou… je ne sais pas moi, être le meilleur ! Mais ce que tu veux, en soit… C’est quelque chose de bien plus impalpable. C’est courageux, je trouve !


— Vraiment ? Tu es bien la première à me dire ça.


— C’est que les autres ne savent pas voir. Mais toi et moi, nous savons ce que cela veut dire que de regarder. De regarder vraiment, je veux dire.


Elle lui offrit un grand sourire, sincère, plein d’encouragements. Aesril s’en trouva désarçonné, une fois de plus. Quand un éclat blanc attira son regard.




— Caelnia, regarde, là !


Ils étaient presque arrivés au bout du jardin où un muret bordé de buissons fleuris les séparait d’une grande falaise surplombant la baie quand un grand papillon blanc aux ailes pointues vint se poser sur une des fleurs pour ne plus en bouger. Caelnia écarquilla les yeux et s’arrêta de progresser à son tour, se mettant à chuchoter, comme si elle craignait que l’insecte puisse l’entendre.


— Incroyable… Tu sais ce que c’est ?


— Je sais reconnaître un papillon, marmonna Aesril.


— Ce n’est pas n’importe quel papillon, enfin ! On l’appelle “le loyal” C’est un papillon qui ne vit que pour butiner une seule fleur, la criste bleue. C’est grâce à lui que ces fleurs rares prolifèrent. C’est la fleur que je préfère. J’ai toujours été étonnée de voir comment une chose aussi délicate pouvait pousser en bord de mer, malgré les assauts du sel et des vagues. Et elle ne fleurit qu’une fois tous les trois ans.


— Elle est aussi éphémère que son papillon en somme. Il faut un sacré coup de chance pour qu’il tombe sur une fleur, j’imagine.


— Oui… Et malgré tout, ce papillon cherchera cette fleur sans relâche. Juste pour ce phénomène aussi rare qu’unique.


— Alors peut-être que c’est ce que nous devrions dessiner ? Et capturer ce moment avant qu’il ne nous échappe.


Caelnia approuva et s’assit très lentement sur le sol, tirant sur les vêtements du mage tout en sortant un carnet et des crayons enveloppés dans un petit bout de tissu. 


— Assieds-toi ! murmura-t-elle. Tu crois qu’il restera longtemps comme ça, sans bouger ?
— Je n’en sais rien, mais ça vaut le coup d’essayer.

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Mais peine eurent ils commencé que le papillon s’envola dans un éclat argenté. Caelnia observa son propre dessin en gloussant. L’insecte était esquissé de moitié. 


— Cela fait partie du charme, je suppose ! J’imagine qu’il est trop insaisissable pour être capturé, même sur du papier.


Voyant qu’Aesril avait toujours le nez penché sur son dessin, en pleine concentration, Caelnia, intriguée, demanda :


— Tu as réussi à le dessiner ? Tu le fais de mémoire ?


En se penchant par-dessus son épaule, la jeune femme retint son souffle en voyant les formes qui naissaient sous les coups de crayon de l’elfe. Lui-même avait tout juste eu le temps d’esquisser le corps de l’animal et, en guise d’ailes, il lui avait dessiné des pans de tissus dont il se plaisait à détailler chaque pli, rappelant le vêtement de la jeune femme et donnant une impression de mouvement hypnotique.


— … À croire que ce qu’il y a de plus beau est éphémère, souffla-t-elle dans son dos. Tu es doué, Aesril… Je ne savais pas que tu dessinais si bien.


— Je ne dessine pas si souvent ces derniers temps. Mais tu m’as donné envie de recommencer.


— Il semblerait qu’il y ait beaucoup de choses que tu ne faisais pas souvent ces derniers temps… dessiner, sourire, rire…


— Peut-être que j’avais juste besoin de quelqu’un pour me rappeler comment il fallait faire, confessa Aesril en perdant son regard sur son carnet.


Elle tendit la main vers son visage, timidement et Aesril se figea, la respiration en suspens, se demandant ce qu’elle avait l’intention de faire et réalisant qu’elle-même ne semblait pas tout à fait sûre de son geste, mais elle approcha le bout de ses doigts pour caresser sa joue, aussi subtilement que si le vent l’avait effleuré.


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— Je vois beaucoup de belles choses en toi, Aesril… souffla Caelnia à mi-voix. Ton, sourire, et ton rire, et tes dessins et la façon dont tu vois le monde. Ce serait dommage de les garder pour toi.


Fébrilement, il guetta son regard, troublé par les paroles de la jeune femme. Chaque fois qu’il pensait la cerner, elle parvenait encore à le surprendre. Il avait le sentiment que, pour la première fois de toute sa vie, on le regardait enfin véritablement pour ce qu’il était et que cette femme aimait ce qu’elle voyait. Elle ne voyait pas seulement le talent, pas seulement son rang, pas seulement son savoir. Pas seulement qu’il était le fils du commandant, ni le jeune prodige du Collège. Mais lui. Elle le voyait vraiment. Il déposa doucement sa main par-dessus la sienne pour l’inviter à garder ses doigts contre sa joue et prolonger la chaleur de ce contact qui lui donnait la sensation de vivre. Là où les caresses lubriques et bien plus osées de Larnatillë ne lui procuraient plus la moindre sensation, il avait l’impression que les doigts de Caelnia contre la peau de son visage représentaient un geste infiniment plus intime.


— Ces choses-là… Je te les offre, si tu les veux, répondit-il, surpris par ses propres paroles.


Caelnia le fixa un instant, les yeux rivés dans les siens, les lèvres entrouvertes, comme si la phrase d’Aesril l’avait prise de court. Elle laissa retomber sa main lentement, sous la surprise, quand son visage parut reprendre vie d’un seul coup.


— Eh bien ! Décidément, tu es intense ! s’exclama-t-elle tandis qu’Aesril la dévisageait, désarçonné par sa réponse.


Le mage ne trouva rien de pertinent à répondre à ceci, il laissa son regard se perdre un moment sur les jardins, les entrailles nouées. Il regrettait presque d’avoir eu la folie de lui dire une chose pareille. Porté par la spontanéité de la jeune femme, il en avait oublié sa prudence. Peut-être s’était-il fourvoyé ? Peut-être s’était-il laissé emporter trop vite. Il avait trouvé tellement de réconfort dans la chaleur de la jeune femme qu’il n’avait pas pensé à faire preuve de modération. Il s’en voulut, se sentit idiot. 
La grande horloge annonça deux heures. Il vit cela comme un prétexte idéal pour mettre fin à cet instant gênant et se releva précipitamment, refermant son carnet


— Je n’avais pas réalisé qu’il était si tard. J’ai encore quelques projets personnels sur lesquels je souhaiterais avancer.


— Oh… Oui, bien sûr, balbutia la jeune femme, désarçonnée par ce soudain changement dans son attitude. Veux-tu que nous marchions ensemble jusqu’au grand hall ?


Aesril serra la mâchoire un moment, incapable de se décider. Il avait envie d’être avec elle, bien sûr. Seulement, il ne souhaitait pas commettre un autre impair ou qu’elle le raccompagne par compassion.


— D’accord. Allons-y ensemble, trancha-t-il finalement.


Ils regagnèrent le grand hall dans un silence pesant où Aesril faisait de grands efforts pour ne pas laisser son regard dériver vers Caelnia. Il craignait de se laisser aller une nouvelle fois s’il croisait ses yeux. Lui-même ne comprenait pas très bien comment l’ambiance entre eux avait pu changer si subitement. Arrivés devant les marches menant aux différentes ailes du bâtiment, Aesril crispa son visage pour tenter d’esquisser un sourire convaincant, mais il sentit bien que c’était un échec cuisant.


— Merci pour ce moment, Caelnia. C’était… très agréable.


Il savait que ces mots étaient bien en dessous de la vérité et il s’en voulut de constater que, cette fois, son vocabulaire lui manquait là où il aurait voulu lui dire le fond de sa pensée. Caelnia lui sourit à son tour, penaude.


— Oui… Merci à toi aussi Aesril. Voudrais-tu que l’on se retrouve à nouveau, demain ?


L’envie était grande et il se dit qu’avec un peu de sommeil, peut-être verrait-il la situation sous un jour plus clair. Il allait accepter quand une pensée désagréable le ramena à la réalité, lui étreignant la gorge : Larnatillë lui avait demandé de la rejoindre. Et il n’avait aucune idée de combien de temps elle avait prévu de le retenir. Il baissa les yeux au sol, dépité.


— Ce serait avec plaisir, mais… Je… J’ai déjà donné ma parole que je serais ailleurs…


— Je vois… se désola la jeune femme. Alors… À bientôt, Aesril.


— Oui… À bientôt, souffla-t-il, la gorge serrée.


Il commença à lentement remonter le grand escalier de marbre, abattu, quand la voix de Caelnia résonna dans son dos.


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— Aesril !


Il se retourna aussitôt. Tenant son carnet à dessin ouvert entre ses mains, au centre duquel se trouvait une fleur de criste bleue qu’Aesril avait réussi à faire glisser sans qu’elle ne s’en rende compte, Caelnia gravit les marches, quatre à quatre pour arriver à sa hauteur et déposer ses lèvres sur les siennes en un baiser chaste, le laissant, les yeux écarquillés de stupeur, sans parvenir à comprendre ce qu’il venait de se produire.


— Ne cesse pas d’être toi-même, tu es bien trop formidable ainsi.


Et elle se retourna pour redescendre les marches, aussi vite qu’elle était arrivée, dans un frémissement de tissus voluptueux, sous le regard de l’elfe, pantois et interdit, qui l'observait s’éloigner en tentant d’aligner dans son cerveau ce qu’il venait de se produire.


— À bientôt, Milelen Vir !


Sans réaliser ce qu’il faisait, les sourcils froncés dans un expression de profonde incompréhension, Aesril posa ses doigts contre ses lèvres, étourdi. Il n’aurait jamais songé être capable d’apprécier autant d’être témoin du vol d’un papillon et encore moins, de sentir ses ailes toucher sa peau et son souffle saisir son âme.


Acte I - Chapitre 2 - Le vol du papillon blanc Butterfly-animation-100
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